Depuis le 15 juin 2016, la salle de cinéma de la rue Montardy a changé de propriétaires. L’ex Utopia est devenu American Cosmograph sous la direction d’Annie Mahot et Jérémy Breta, deux anciens employés. Menacé par une augmentation de loyer depuis 2015, le cinéma d’art et d’essai continue de séduire par son charme désuet.

« Chez Gaumont ou UGC, le cinéma est secondaire. Ils font leur marge sur les confiseries, il ne faut pas se leurrer », déplore Frédéric Hoblingre, opérateur projectionniste au cinéma de la rue Montardy depuis treize ans. En poussant les portes de l’American Cosmograph, aucun effluve de caramel ou de friandises chimiques. L’équipe dirigeante refuse de se résoudre à leur vente malgré les menaces économiques qui planent sur le cinéma. Depuis 2015, un changement de propriétaires, une augmentation de loyer et une mise aux normes handicapées ne viennent pas à bout de l’esprit qui habite le lieu depuis 1907.

Une recette inchangée qui fait le succès du cinéma

« À l’époque, ça devait être une très grande salle unique, avec des balcons », imagine Frédéric en pensant à l’American Cosmograph de 1907, un des premiers cinémas permanents de Toulouse. En 2015, au moment du rachat de l’Utopia -entre les mains de Anne-Marie Faucon et Michel Malacarnet depuis 1993- Annie Mahot et Jérémy Breta décident de faire un clin d’œil au passé du bâtiment en le rebaptisant.

« La cosmographie c’est la science de la description de l’univers, donc ça collait bien à ce qu’on aime du cinéma », poursuit Annie.

Depuis plusieurs dizaines d’années, la recette reste inchangée. Avec ses 441 places réparties dans trois salles, l’American Cosmograph propose un cinéma engagé, sans publicité à un prix abordable (entre 4,50 et 7 €). Pascale, spectatrice de longue date à l’accent du Midi s’enthousiasme :

« Je continue de venir pour les petites salles, les débats mais aussi le prix et parce qu’il n’y a pas de publicité. »

Les 441 places de l’American Cosmograph sont réparties dans trois salles accueillant projections et ciné-débats, 365 jours par an. (Photo : Cécile Marchand Ménard)

Au-delà du prix des billets, Frédéric explique : « il y a une continuité dans l’accueil, la personnalisation vis-à-vis du spectateur ». Le cinéma d’art et d’essai imprime à 40 000 exemplaires chaque mois sa propre fanzine. Y sont présentés les films à l’affiche et les ciné-débats, entrecoupés de petites annonces pour des événements locaux.

Un changement de nom pour un virage en douceur

Pascale explique avoir ressenti « un moment de flottement au niveau de la programmation » durant les quelques mois qui ont suivi le rachat de l’Utopia par Annie et Jérémy. La nouvelle propriétaire du cinéma argumente :

« La programmation a sensiblement évolué mais pas de manière radicale. Sans le revendiquer vraiment, on retrouve une part du cinéma américain qui a bercé notre cinéphilie. »

Elle poursuit : « Retour vers le futur est typiquement le genre de films qu’Utopia ne passerait pas, mais nous si ».

Du point de vue de la gestion, Frédéric remarque : « la philosophie gérants-employés a un peu changé. Il y a plus de discussion. C’est une autre approche du monde et du cinéma ».

En toile de fond, un avenir incertain

Comme annoncé par Anne-Marie Faucon en octobre 2015, le cinéma est menacé par un triplement de son loyer par l’archevêché de Toulouse, propriétaire des murs depuis 1931. « On réfléchit à des solutions pour compenser cette augmentation. Un déménagement en centre ville, ce serait impossible car les loyers sont trop chers », explique Frédéric. En parallèle, des travaux de mise aux normes handicapées restent à programmer.

« On attend d’avoir la décision finale concernant le loyer pour entamer les travaux. On n’est pas sûr d’avoir la réponse en 2019, c’est toujours repoussé », détaille Annie.

Face à ces ombres au tableau, l’équipe de l’American Cosmograph refuse de se laisser abattre. « Il y a des choses qu’on n’a pas envie de faire comme faire payer les bandes annonces, l’affichage dans le hall et les publicités dans le programme […] après, si vraiment on n’a pas le choix, on pourrait y penser de temps en temps », se résout Annie. La propriétaire nuance :

« En même temps, on ne veut absolument pas perdre notre identité. Je pense qu’on y perdrait plus qu’on y gagnerait. »

Elle évoque le mécénat, la location de salles et les partenariats avec des comités d’entreprises comme des solutions alternatives potentielles à une augmentation de loyer. En attendant l’issue de cette décision, la cinéphile reste positive : « On préfère que les gens viennent pour voir les films qu’on propose plutôt que pour nous soutenir ».