Le départ d’Hosni Moubarak a-t-il véritablement fait évoluer la situation des Droits de l’Homme en Egypte ? Le film « Back to the Square » répond par la négative. La répression s’est au contraire accrue et a changé de tête.

Bernard Flichy commentant à l'ABC le film « On attendait avec impatience la projection d’un film traitant des révolutions arabes ». Maylis d’Aboville, coordinatrice toulousaine du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH), affichait jeudi soir un large sourire à l’issue de la projection du film « Back To The Square ». Réalisé par le canadien d’origine tchèque Petr Lom, ce documentaire a été choisi par les responsables toulousains du FIFDH pour le regard nouveau qu’il porte sur la société égyptienne post-Moubarak.

Celui-ci s’intéresse ainsi à la vie quotidienne de cinq Egyptiens vivant au Caire ou dans ses environs. Précision de taille, Petr Lom a tourné « Back To The Square » durant le deuxième semestre 2011, soit avant la prise de pouvoir de l’armée. Un récit certes daté, mais qui permet d’envisager certains enjeux de pouvoir et de répression toujours présents en Egypte. A travers le portrait de deux personnages, la jeune étudiante Lamiz Ragab et l’ex-chauffeur de bus Sayyd Mohamed Sayyd, on découvre la violence quotidienne infligée par les forces de police. L’homme a passé plusieurs mois en prison pour avoir refusé de combattre les manifestants sur la place Tahrir, tandis que Lamiz a été forcée de témoigner contre son mari dans une affaire de drogue montée de toutes pièces. « Avant, sous l’ère Moubarak, on n’était pas aussi maltraités […] La dictature a seulement changé de tête », admet M. Ragab dans le film.

Les étudiants, force politique alternative à très long terme

L’histoire d’une des cinq personnes permet néanmoins d’entrevoir un espoir pour les Droits de l’Homme en Egypte. Mark Nabil se battait à l’époque du film pour la libération de son frère, Maikel, emprisonné pour avoir « insulté » l’armée et « diffusé de fausses informations » sur son blog. Manifestations et tournages clandestins devant les maisons d’arrêt, rassemblements devant les tribunaux, campagnes de communication… Au final, l’opération a été couronné de succès puisque Maikel fut libéré en janvier 2012.

A travers la vie de Mark et de son frère, c’est aussi la question de la jeune génération qui est évoquée dans ce documentaire. Peut-elle incarner et forcer le renouveau démocratique de l’Egypte ? Elle n’est pas encore prête à renverser le pouvoir militaire, selon Bernard Flichy, chargé de mission en Afrique du Nord pour le Secours Catholique. Invité par les organisateurs du FIFDH pour débattre avec la salle à l’issue du film, il a notamment insisté sur la vision caricaturale relayée par les médias étrangers. Selon lui, « beaucoup d’étudiants approuvent le régime militaire actuel ». Cependant, s’il estime qu’une révolution n’interviendra pas en Egypte dans les prochaines années, il envisage néanmoins le renouvellement des élites politiques, et le développement probable d’une nouvelle offre politique alternative, issue des étudiants et des jeunes diplômés.

Mais la situation reste très complexe. L’économie égyptienne va mal, et le chômage de masse gangrène les jeunes générations. Une situation économique et politique qui suscite de nombreuses protestations dans le monde étudiant. Un rapport de l’ONG Amnesty International, publié le 23 janvier dernier, a recensé plusieurs centaines de manifestations dans les universités du pays, et notamment au Caire, pour le deuxième semestre 2013. Cinq étudiants sont morts dans des confrontations avec les forces de l’ordre, et plus de 500 ont été arrêtés sur la même période. Trois ans après le départ de Moubarak, peu de choses ont changé en Egypte.

Bande-annonce du film « Back to the Square », de Petr Lom

La septième édition du Festival International du Film des Droits de l’Homme de Toulouse et Midi-Pyrénées s’est déroulée du 19 au 28 janvier 2014 dans plusieurs cinémas de la région. Les spectateurs ont pu voir onze documentaires traitant notamment de la liberté d’expression sur Internet en Chine, des zones de rétentions de migrants aux frontières européennes ou de l’emprisonnement féminin en Afghanistan. Il s’agit pour les organisateurs de mettre en lumière des violations flagrantes des droits de l’Homme souvent méconnues du grand public.

L’armée aux commandes

Le 25 janvier dernier, jour de commémoration du départ d’Hosni Moubarak, près de 50 personnes sont mortes dans des affrontements opposant partisans du régime militaire et antis-armée. Au Caire et dans les grandes villes du pays, le gouvernement avait appelé les Egyptiens à se rassembler massivement pour célébrer la « Révolution du 25-Janvier » 2011. Il s’agissait aussi de réaffirmer la légitimité populaire du régime militaire mené par le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi. Ce lundi 27 janvier, Al-Sissi a été désigné candidat aux prochaines élections présidentielles par le commandement de l’armée.