Lors de l’édition 2012 des Assises internationales du journalisme, les nouveaux médias ont occupé une place prépondérante dans les différents débats. A l’ordre du jour : la place des développeurs et autres designers dans les rédactions, comment faire payer l’info gratuite sur le web, les perspectives d’avenir de l’info « mobile » ou encore l’arrivée sur le marché des tablettes et smartphones. L’occasion pour « Univers-Cités » de faire un tour d’horizon de ce qui a pu être dit à propos du renouvellement de la presse via les nouvelles technologies.

« C’est une erreur que de ne pas avoir considéré le web comme un pendant majeur du journalisme. » Le pavé est jeté dans la mare dès le départ par Pierre Haski, directeur de la publication de Rue 89. Une entrée en matière plutôt critique pour ce support tant décrié puis utilisé comme une version « bâtarde » des journaux papier de l’époque. Malgré l’arrivée de nouveaux modèles économiques et de plateformes exclusives au web, l’information via internet a été pensée à ses débuts comme gratuite et de piètre qualité. Vision qui se retourne maintenant contre ses instigateurs puisque ces nouveaux supports informatiques commencent à occuper une place importante dans l’avenir de la presse.

Le problème de la gratuité

« Il faut créer de la rareté pour créer de la valeur économique, et cela passe par l’ajout de valeur éditoriale. » La plus-value reste la qualité du contenu. Selon Philippe Laloux, digital media manager du Soir-Belgique, avoir mis tout le contenu d’information sur internet gratuitement n’est pas une erreur historique. Le « gratuit » est profondément inscrit dans l’ADN du web. Mais il faut trouver une valeur à cette information gratuite pour réussir à être compétitif, voire rentable.

Toute information vérifiée, d’actualité et singulière est une information de valeur. Pour le journaliste du Soir, le pire reste la redondance causée par la multitude de sources sur le web. Le journal papier donne les nouvelles d’hier, nouvelles qui sont donc « périmées ». Il est nécessaire de travailler sur l’aspect temporel et l’immédiateté de la presse web. La monétisation des « scoops » est par exemple un immense problème car il y a une très forte concurrence et un risque important de redondance. Il est devenu impossible d’en faire une information singulière. Le seul moyen de l’utiliser est d’être la première source à la relayer.

Google Tout Puissant

C’est à ce stade qu’intervient un autre souci de la logique internet : le référencement Google. L’algorithme du géant américain, précieusement tenu secret et chargé de parcourir l’internet dans le but d’en faire un référenciel global, ne valorise pas la source qui diffuse l’information en premier mais relaye souvent les médias qui reprennent l’information et qui sont les plus mis en avant grâce aux réseaux sociaux par exemple. D’après Jérôme Perani, directeur marketing au sein du pôle numérique de Lagardère Active, « face à la machine Google, le médium n’a que peu d’importance, seule l’information compte. »

Le Soir a pu en faire l’expérience après ses déboires avec le géant du net. Le non-référencement de son site lui a valu une baisse de 23 % de son audience en à peine 24 heures. Signe que les lecteurs lisent aujourd’hui via Google ou les réseaux sociaux et beaucoup moins directement sur les sites d’information.

Pourtant les objectifs des entreprises de presse sur le web restent très modestes selon Erwan Gaucher, journaliste médias reconverti en consultant : quelques milliers d’abonnés étaient espérés pour des sites comme Le Soir ou La Dépêche qui représentent pourtant des centaines de milliers d’exemplaires en version papier. La solution au succès des plateformes numériques semble pourtant connue. Pour Pierre Laloux « il faut des contenus à haute valeur ajoutée pour ramener le lecteur à un mode de lecture plus passif, où le journaliste sélectionne et hiérarchise l’information afin de sortir du flot continu d’informations qu’est devenu le web. Il ne faut plus vivre au rythme du bouclage mais au rythme de l’info. » Vivre au rythme de l’information, un doux rêve qui ne va malheureusement pas de pair avec les conditions de travail du journaliste qui devrait donc songer à oublier ce besoin naturel qu’on appelle sommeil.

Flipboard, simple agrégateur mais grand succès

Le renouveau par l’info mobile

« Ignorer les tablettes et smartphones dans l’équation des nouveaux médias revient à oublier le web il y a quelques années. C’est commettre la même erreur » renchérit Pierre Haski en présentant « Rue 89 avec les doigts », l’application tablette du journal éponyme.
Le souci de ce nouveau type de format vient principalement de son coût. Pour le moment ce n’est que du reconditionnement des produits préexistants. 80% du contenu est la reprise des versions papier. Seules des vidéos bonus et un remaniement de la façon de naviguer dans le journal créent une véritable différence.

D’après Eric Scherer, directeur de la stratégie numérique de France Télévisions, « nous aurons bientôt atteint un seuil, un basculement lorsque la moitié de la population aura accès à internet sur soi. » En 2011, 17 millions de français avaient un smartphone. L’information est déjà la seconde raison de l’utilisation des supports mobiles après le mail et devant les réseaux sociaux ou les jeux. Malgré tout, 75 % du temps passé sur le web se fait toujours via le bon vieux site internet.

Un deuxième facteur clé du web et encore plus concernant les supports mobiles reste le design et l’ergonomie. L’exemple flagrant vient de la réussite de l’application Flipboard, un simple agrégateur de contenus qui obtient un franc succès du fait de son design et son utilisation simple et efficace. Néanmoins le savoir-faire des rédactions dans le domaine est encore bien insuffisant, comme le confesse Joël Ronez, directeur des nouveaux médias de Radio France.

Le salut viendrait-il donc de l’extérieur ? Les journalistes ont besoin de designers et de développeurs pour réussir à offrir une information de qualité, non périssable et facilement consultable par les utilisateurs. On voit ainsi le développement de pratiques telles que le data-journalisme. La coopération semble obligatoire entre ces deux mondes pour réinventer la presse web et peut-être sauver la presse traditionnelle du gouffre où elle semble sombrer depuis des années.