Qu’il semble loin le temps où comme le pensait Pierre Bourdieu : « Il suffit de dire d’un homme, pour le louer, que c’est un homme ». Oraison funèbre de l’illusio ! Quarante ans de féminisme politique ont suffi pour que l’Homme cède sa place à l’homme. De l’universalité au particularisme de son genre, le mâle a vu sa domination s’effriter. Seulement, les anciens bourreaux sont parfois devenus les nouvelles victimes. L’homme est désormais le continent noir des gender studies : à l’omerta de sa condition dans les médias répond le mutisme des études universitaires, le mal du mâle n’est pensé que comme faribole.
Et n’allez pas dire qu’au même titre que les femmes, les hommes sont également martyrs du modèle patriarcal, sous peine d’être rangé dans la même boîte noire que les infréquentables Eric Zemmour, Alain Soral et autres porte-voix du courant masculiniste. C’est bien simple, mettre en avant l’oppression masculine est appréhendée par beaucoup de féministes comme la dénégation de leur propre cause, forcément. « À peu près tous ceux qui décrivent actuellement les hommes comme étant opprimés s’inscrivent dans une forme de réaction antiféministe… » écrit la sociologue Caroline New. Manichéisme quand tu nous tiens…
À une époque où on assiste à une remise en cause bienvenue du modèle dominant du tout-masculin, impossible de faire l’impasse sur le « mâle-être » du premier sexe. Difficulté de la condition féminine, inexorabilité de la condamnation masculine. Manière de signifier que la « masculinité hégémonique » oppresse ses continuateurs. Fatalement, deux mille ans de domination masculine ont laissé des traces : culte de la virilité, fétichisme de la performance, idolâtrie du moins-disant émotionnel, héroïsation de la prouesse physique… De quoi donner le vertige aux représentants de la gent masculine qui osent le pas de côté face à cette normativité comportementale. Après le mâle à l’aise, le malaise donc !
Cette « masculinité hégémonique » tant décriée à raison par les féministes, est celle-là même pourtant qui emprisonne une partie de ses supposés laudateurs à moustache. Ici, le phénomène du « dominant dominé par sa domination » tourne à plein régime. Qu’un homme fasse montre de sensibilité, connaisse une réussite professionnelle toute relative, ou pire préfère le cogito aux biscotos – en exagérant à peine – , et ce sont autant de coups portés au modèle souverain du « vrai mec ». Puisque dominante par culture, impossible pour l’homme de se défaire de cette représentation fantasmée du mâle triomphant. Désireux de la combattre, et le voilà obligé de s’y référer, renforçant ainsi le mal honni.
Et si l’ennemi d’hier devenait l’allié d’aujourd’hui ? Au même titre que le féminisme est pluriel, pourquoi l’homme ne serait-il vu que sous le prisme réducteur du tortionnaire. Haro sur la rhétorique du tous pourris… Face à l’hégémon patriarcat, seule une alliance des opprimés du genre peut rivaliser : hommes-femmes, pour redéfinir un nouveau modèle civilisationnel. Et cette mise à mal de l’ordre social genré passe, comme le défend l’ouvrage érudit Boys don’t cry ![[http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2870]], par la prise de conscience des coûts de la masculinité chez ses premiers ambassadeurs. Étape nécessaire à ce que le féminisme devienne vraiment un humanisme.