Ce samedi, à Toulouse, ils étaient six cents à manifester contre le traité ACTA (« Anti-Counterfeiting Trade Agreement », ou accord commercial anti-contrefaçon, qui porte sur la propriété intellectuelle et le contrôle d’Internet. Récit d’une manifestation et retour sur les causes de la mobilisation.
Des rangées de masques de Guy Fawkes, le symbole repris par le groupe de cyber-activistes Anonymous, qui défilent au centre-ville de Toulouse. Des slogans anti-ACTA scandés en pleine rue. Des banderoles ornées de « mèmes », ces bandes dessinées numériques populaires parmi les geeks. Internet est-il descendu dans la rue ce samedi ? C’est ce qu’on pourrait croire au vu de l’ampleur de la manifestation. Un événement qui a regroupé pas moins de six cents participants pour un trajet allant d’Arnaud-Bernard à la Halle-aux-Grains en passant par le Capitole.
Une manifestation pacifique, qui suivait presque point par point les lignes de conduites publiées par Anonymous et diffusées notamment sur le site toulousain d’Anonymous. “Rester cool en toutes circonstances”, respecter les directives des forces de l’ordre… même quand celles-ci imposent aux manifestants de marcher sur le trottoir. Une marche encadrée par les motos de police, tranquille, peut-être même trop tranquille pour les protestataires les plus expérimentés : “Une manif’, ça ne se fait pas sur un trottoir, enfin !” réagit une jeune fille sans masque venue là pour protester contre les atteintes aux droits de l’homme que représente pour elle ACTA.
Les raisons de la colère
La manifestation de samedi à Toulouse n’était qu’une partie des 228 événements anti-ACTA le même jour dans quelque 25 pays du monde (avec une majorité de pays européens).
Pour quelles raisons la mobilisation a-t-elle été aussi massive ? Il importe d’abord d’expliquer ce qu’est précisément le traité ACTA et ses conséquences sur la propriété intellectuelle afin de mieux comprendre les enjeux de cette mobilisation.
La rédaction obscure d’ACTA
ACTA est l’acronyme du nom Anti-Counterfeiting Trade Agreement, soit ‘Accord Commercial Anti-Contrefaçon’. Il provoque la colère des citoyens – ou du moins de ceux qui sont informés de son existence – tout d’abord par ses conditions d’élaboration.
En effet, les négociations autour d’ACTA ont longtemps été tenues secrètes. Elles se sont faites entre les principaux acteurs économiques concernés, en contournant les Parlements et le processus démocratique : les premières versions du texte ont été produites en 2007. Le texte d’ACTA n’a été rendu public par la Commission Européenne qu’en 2010 ; La Commission a ensuite été rappelée à l’ordre démocratique puis poursuivie par le Parlement à cause de son manque de transparence dans l’élaboration du texte. Wikileaks révèlera ensuite que l’idée d’un tel accord provient originellement des Etats-Unis.
Ce manque de transparence n’est cependant pas la seule chose que l’on peut reprocher au texte de l’accord. Sa nature même est en effet de lutter contre la contrefaçon en renforçant le pouvoir des lois sur la propriété intellectuelle dans les États signataires. Ces lois concerneraient potentiellement tous les domaines de l’innovation, ce qui pose plusieurs problèmes liés au concept même de propriété intellectuelle.
Par exemple, dans le secteur pharmaceutique, dont certains laboratoires ont été directement impliqués dans les négociations, ACTA renforce les barrières autour des molécules médicamenteuses, rendant ainsi impossible la fabrication de médicaments génériques moins onéreux. Dans ce cadre, quid de l’accès des pays en développement à de tels produits ?
“L’information veut rester libre !”
Les questions de diffusion de la culture sont également au centre des problématiques soulevées par ACTA ; elles expliquent probablement la mobilisation majoritairement jeune et « connectée' » autour du traité.
En effet, la structure du média Internet et son usage actuel ont permis et permettent toujours la production et la diffusion de la connaissance de manière large et non commerciale, avec le fameux processus de peer-to-peer, où chaque usager du Net est potentiellement à la fois partageur et receveur du fichier en question.
Pour certains partisans d’un usage politique d’Internet, c’est l’opportunité de diffuser largement la connaissance, quelle qu’elle soit – musique, documents vidéo, archives – mais aussi l’information- pour plus de démocratie dans l’accès à la culture.
Cette position ne convient évidemment pas aux ayants-droit, notamment de l’industrie culturelle, pour qui l’accès à ces produits ne peut se faire que dans un cadre commercial. Le traité ACTA protège ainsi leurs droits à la propriété intellectuelle des œuvres… et introduit une sanction potentielle pour toute personne partageant du contenu « piraté ». Ce qui pose évidemment la question du concept même de piratage : à partir de combien de films, chansons, ou textes partagés, doit-on être considéré comme un pirate ? Si les internautes mobilisés contre ACTA entendent bien détruire les monopoles commerciaux des grandes entreprises culturelles, reste à trouver un modèle de rémunération efficace des auteurs et artistes indépendants.
Les fournisseurs d’accès internet, nouvelle milice ?
Les conditions d’application du traité prévoient que les fournisseurs d’accès internet régulent eux-même les infractions de leurs usagers à la propriété intellectuelle… et soient en mesure de fournir aux ayants-droit, en cas de soupçon, les données personnelles provenant des usagers mis en cause, sans décision préalable d’un juge. Une atteinte à la vie privée et aux droits de l’homme d’autant plus inquiétante qu’elle est assortie de la possibilité de sanctions pénales qui contournent – encore – le processus démocratique.
C’est donc bien une atteinte aux droits de l’homme que dénonçaient samedi les manifestants anti-ACTA à Toulouse. Avec des slogans comme “l’information veut rester libre –slogan non-copyrighté-” ou “Internet censuré, liberté surveillée”, certains des manifestants montrent une conscience approfondie de l’opportunité de défendre les libertés numériques. Une mobilisation encouragée par Kader Arif, conseiller municipal à Toulouse et député européen, qui a démissionné avec fracas de son poste de rapporteur européen pour le texte. Il dénonce ainsi une remise en cause des libertés individuelles et refuse de “participer à [cette] mascarade’”.
Avec une mobilisation boostée par l’utilisation des réseaux sociaux se dessine ainsi une prise de conscience de l’importance des outils numériques et de leur neutralité. Reste toutefois à informer en masse les internautes, qui ne sont majoritairement pas informés des enjeux attachés à ces libertés numériques.
Pour aller plus loin
Le texte de l’accord en français
Divers articles d’Owni.fr à propos d’ACTA :
- Une chronologie de la rédaction du traité
- Entretien avec Kader Arif
- Un parallèle entre ACTA et SOPA, son équivalent états-unien
- ACTA et le droit d’auteur
Un article du pure-player toulousain Carré d’Info sur la démission de Kader Arif
Une analyse approfondie d’ACTA par le site français la Quadrature du Net