Des grandes causes aux petits tracas, les exaspérations du quotidien sont sans fin. Preste septuagénaire qui ne traverse décidément jamais assez rapidement, administration bancale et secrétaire apathique, affluence intolérable à l’épicerie du coin, riches toujours plus riches, réseaux saturés, bouchons journaliers, grippe… Bref, c’en est assez ! Le mot est lancé: indignons-nous ! Prenons armes et canons, et le cœur vaillant, et le visage battu par les vents, marchons sur la Bastille !
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Nous dirons à tous les Louis XVI qui veulent l’entendre, notre ras-le-bol de ces voisins trop bruyants, de ces SDF qui font peur aux enfants, de la SNCF qui ne prévoit jamais les… imprévus. Oui, jetons leur à la figure notre mépris et notre intolérance, et laissons Hessel nous reprendre à nouveau: « L’exaspération est un déni de l’espoir. (…) Dans la notion d’exaspération, il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent. Alors on peut se dire que le terrorisme est une sorte d’exaspération. »
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Nous, des terroristes ? Ah, ça non ! Plutôt des petites gens qui affirment leur colère en s’affirmant eux-mêmes par la haine de l’autre. Les artisans d’une indignation sélective, se revendiquant d’un droit à la distinction. Une véritable arme de guerre mue par le fantasme d’un droit à l’affirmation du Moi tout puissant.
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Cette indignation, bien différente de l’Indignation hesselienne, comme toute mode, donne le sentiment à ses zélateurs de participer d’une évolution incontournable dans la construction de soi. Elle est suivie, revendiquée, exposée à tous et fait partie intégrante de cet ego grincheux qu’est devenue la personne sociale. Aussi, comme une horde d’adolescents en quête d’affirmation, la société d’aujourd’hui s’indigne comme elle regarderait la télé. Bêtement. Servilement.