GarageOli.jpg
Marco Bechis est un réalisateur italo-chilien. Sous la dictature militaire en Argentine, il est fait prisonnier pendant deux semaines, avant d’être expulsé vers l’Italie.

Dans sa courte mais remarquable filmographie, le traitement de la dictature argentine occupe une place prépondérante. Garage Olimpo, inspiré de son propre vécu, retrace, au cœur de la dictature du général Videla, l’histoire de Maria, « desaparecida » comme 30 000 autres personnes de 1976 à 1983.

À Cinelatino, il ouvrait la «muestra cinéma et politique », thème du festival de cette année. Univers-cités l’a rencontré.

marco-bechis.jpg
Univers-cités : À sa sortie en 1999, comment a été accueilli le film en Argentine ?

Marco Bechis : Il a été ignoré, pour différentes raisons. Beaucoup avaient peur d’aller voir ce film au cinéma. Les gens allaient voir le film, ils étaient peu dans la salle, peut-être qu’il y avait un militaire juste à coté, ils n’étaient pas à l’aise. Quand le film est sorti en VHS, ça a été un boom, tout le monde a acheté le film, pour l’avoir. J’ai fait une petite investigation et personne ne l’avait vu mais ils l’avaient, là, sur une étagère. Finalement, je me suis fais cette réflexion : j’ai eu 30 000 spectateurs pour la sortie en Argentine ce qui était très peu. Mais je pense que c’est quand même beaucoup, car chacun a fait un choix très dur. Sortir de la maison pour aller voir ce film, qui parlait de soi-même, de la réalité argentine. C’était dur de considérer que tout cela s’est passé et qu’ils n’ont rien fait. Il y a eu une critique du journal de cinéma  Les Cahiers du cinéma argentin, intitulée « La nausea ». C’était la première fois qu’un critique de cinéma parlait de lui-même. Il disait, « moi j’étais dans une de ces maisons que l’on voit depuis l’hélicoptère, je m’occupais de football et j’étais responsable ». Le succès du film en terme au box office n’était pas bon, mais il s’est passé quelque chose avec les gens qui l’ont vu. Maintenant il est devenu culte, il est diffusé dans les écoles…

Avant « Garage Olimpico », y-a-t-il eu d’autres films de ce genre sur la dictature ?

Avant il y en avait plusieurs, mais je les trouvais mauvais. Même le film qui a gagné l’oscar, L’histoire officielle. C’est un film que je voulais faire parce qu’il n’existait pas d’images de « desaparecidos ». Ils n’ont pas d’images, parce que personne ne pouvait filmer. Il n’existe pas de documentaire possible. J’ai cherché à faire un film comme si c’était un documentaire. Avec l’utilisation massive de ma propre expérience mais surtout l’expérience des autres survivants , qui m’ont aidé à reconstruire les choses.

Est-ce qu’on parlait de la dictature, ou bien était-ce un sujet relativement tu ?

Le film est arrivé dix-sept ans après la fin de la dictature. Les médias ont différentes techniques pour éliminer un sujet. Avant on n’en parlait pas et après trop, et de manière agressive: les os qu’ils trouvaient dans les cimetières clandestins, montrés à la télévision… Les gens ne voulaient plus en parler. C’est pourquoi quand le film est sorti, il y a eu un certain rejet, avant que les gens ne voient que cette fois c’était une manière différente de traiter la dictature. Les médias ont cette technique, parler trop, c’est comme ne plus en parler…

Quel impact a eu le film politiquement, notamment au regard des lois d’amnistie promulguées en 1986 ?

Le film était très utile pour rouvrir des procès en Italie. En Argentine il y avait les lois d’amnistie. Il y avait des procès en Italie par rapport aux Italiens disparus. On empêchait les militaires présents de sortir du pays. Après est arrivé Kirchner en 2007 et maintenant ils sont tous en prison. Il y a eu le processus de mémoire et de justice. C’était courageux, même si certains disent que c’était utilitariste.
En tant que survivant, je remercie le processus initié par ce gouvernement, contrairement à Menem. C’est un exemple international. Pour les nouvelles générations, c’est important.

Le film a-t-il été confronté à sa sortie à une certaine tension entre « justice » et « réconciliation nationale » ? Comment la société actuelle vit-elle ce passé ?

À l’époque, ça a été en partie la cause du refus du film. Je connais beaucoup de gens qui n’ont pas voulu voir le film pour cette raison. Aujourd’hui, c’est reconnu institutionnellement comme tragédie. Le fait que les militaires soient en prison, c’est important. Certains politiques de droite disent, « maintenant, qu’il faut être moins sévère, il faut la réconciliation ».
Un fait qui est encore très grave, c’est que les militaire ne se sont pas repentis. Ils ont une quantité d’informations très importantes pour les mères, les familles. Où sont les enfants volés ? Où sont les cimetières clandestins ? Qui a été jeté des avions ? Des informations fondamentales pour les familles qui vivent dans l’ignorance de ce qui est arrivé à leurs proches. Il n’existe pas de réconciliation avec quelqu’un qui garde des informations et n’a jamais demandé pardon à personne.
Ce sont des blessures qui ne se referment pas facilement. C’est sûr que la justice à une importance pour guérir certaines blessures, mais pas toutes.

Voir l’article sur le film « Garage Olimpo ».