Un café philo n’a rien d’un philtre magique qui infuse de la culture à celui qui le boit. C’est une réunion gratuite dans un lieu public (bar, café ou autre) de personnes désirant débattre sur un thème prévu à l’avance. Petite enquête d’ambiance.

Quand on demande à Jeanne pourquoi elle se rend dans ce « café philo », elle annonce franchement la couleur. « C’est pour discuter et échanger sans se prendre la tête. La plupart du temps, quand on étudie la philosophie, on se réfugie derrière des grands noms, on échange à grands coups de Platon ou de Kierkegaard. Et parfois cela nous empêche de réellement réfléchir au problème, d’aller chercher honnêtement et sincèrement ce que moi, j’en pense ». Jeanne sait de quoi elle parle : sa carrière de professeur de philosophie est, à 62 ans, derrière elle. Ici, pas de prétention, mais un échange convivial simple où chacun, comme dans les amphithéâtres grecs, aurait le droit de s’exprimer. L’écoute bienveillante des autres convives aiderait même à l’orateur ainsi improvisé à accoucher sa pensée. « On manque d’espace d’expression libre dans nos sociétés modernes », estime-t-elle. Alors, tout peut se dire et se risquer.

Et c’est un fait. Dans la salle du premier étage d’un café de l’avenue Jean Jaurès, une trentaine de personnes se sont attablées en demi-cercle. On s’attendait à une sorte de réunion soixante-huitarde échaudée, avec des débats houleux, des mains qui se lèvent, des apologies et des contradictions. Un débat étudiant de quartier latin sous la révolution. Mais l’ambiance qui règne est sereine, et un maître de cérémonie distribue la parole. Les intervenants apprécient de ne pas se sentir jugés, ou devant répondre à des exigences de connaissances ou de norme d’expression. Le principe de base du café philo reste que la philosophie est à la portée de tous. Que chacun peut se mettre en marche vers la sagesse. Comme le dit l’affiche d’entrée : « il s’agit de dire ce que l’on pense, et de penser ce que l’on dit ».

Les thèmes abordés sont choisis par un petit noyau de personnes, les organisateurs. « Les concepts ont-ils un corps ? L’affect s’oppose-t-il à l’intellect ? Peut on croire et philosopher ? La pensée se trouve-t-elle avant la parole ? ». D’autres groupes de penseurs s’attacheront à découvrir la pensée de tel ou tel philosophe.

D’où vient alors le dédain un peu goguenard de nombre d’étudiants en philosophie pour ces pratiques qui sortent la philosophie des bibliothèques ? « Ordinairement les thèmes sont trop généraux et stupidement orientés (…) et je ne suis pas certaine que la philosophie se cultive en ce genre de lieux », affirme Elise, en master 2 de philosophie. « Je pense que la philosophie se cultive dans une relation au sens plein du terme, et pas dans une discussion générale où les lieux communs abondent forcément ». Olivier, en licence 2 de philosophie, pense en termes similaires. « Parce que ce genre de problèmes, c’est amusant d’en discuter avec un ami qui a les connaissances appropriées pour y répondre, mais sitôt que c’est placardé quelque part et que ça devient le thème fédérateur d’une soirée, qui dans un lieu public va permettre à des inconnus de sympathiser, ça prend comme un fond dérangeant d’infantilisation de groupe ».

Alors sur ces délicieux cafés-philo, aprés la thèse et l’antithèse, libre à vous de faire la synthèse!