« A tout à l’heure, chéri ! « , Sophie, 22 ans, a rayé cette phrase de son vocabulaire. Pourtant l’étudiante n’est ni célibataire ni haineuse des garçons. Depuis presque quatre ans cette étudiante en anglais est heureuse avec son petit copain. Le seul problème : elle doit parcourir environ 9300 kilomètres pour le voir. Elle habite à Toulouse, lui à Shanghai. « Le vol le plus rapide dure 14 heures », explique Sophie. « Nous ne sommes pas souvent réunis, c’est difficile. » Bernard travaille pour un créateur automobile, et voulait vivre à l’étranger. « Je ne me serai jamais pardonné de sacrifier mon rêve pour notre relation ». Sophie respecte son choix de vie, mais regrette de le voir si peu: « Je ne voulais pas le gêner. Mais je préférerai que nous soyons plus souvent ensemble », répond-elle.

Sophie n’est pas un cas isolé, bien au contraire :

De plus en plus de couples vivent séparemment. Souvent, ils se sont rencontrés par Internet ou ont changé de ville pour les études ou le boulot. Environ 75 % des étudiants américains aiment à distance – du moins pour un certain temps. Selon des estimations, une relation sur sept, quasiment, se fait à distance en Allemagne . En France, le phénomène est encore peu évalué statistiquement. Mais il suffit de se rendre dans les gares et les aéroports pour observer cette nouvelle réalité de la vie en couple. flugtafelweb.jpg Combien d’actifs se mettent en route chaque lundi vers une vie loin de l’élu(e) de leur coeur ? Et le vendredi, le spectacle s’inverse : embrassades et baisers heureux des retrouvailles se succèdent, sur les quais ou dans les halls d’arrivée.

Séparés la semaine, ensembles le week-end . Sur Internet les moitiés seules d’un amour à distance se donnent des conseils pour surmonter le temps sans leur partenaire. Les rubriques les plus importantes des sites ? Liens vers des horaires de trains, des calculs itinéraires et des offres de covoiturage. Un petit tour parmi les connaissances est aussi révélateur : Il y celui du groupe de yoga avec la copine en stage en Argentine, la voisine qui décolle vers Londres une fois par mois afin de se blottir dans les bras de son chéri, tous ceux qui font plus ou moins régulièrement la navette à Paris. Pourquoi ? Souvent pour l’épanouissement professionnel : les jeunes diplômés sont prêts à bouger. Ils doivent alors se plier à un sacrifice incontournable : la relation à distance. Désormais constant dans leur vie, le terrible « adieu » est devenu une habitude.

Nomades modernes

L’amour mondialisé serait donc un amour à distance. Flexibilité et mobilité sont les mots-clés de cette nouvelle ère. Ils servent à décrire les circonstances de vie et de travail des habitants du monde industrialisé du 21e siècle. La période de formation – où il faut être le plus flexible – s’allonge.
Les journalistes et sociologues observent une « génération stagiaire » grandissante. Par des stages non rémunérés et le passage de villes en villes, les adolescents se préparent à leur vie de nomades, selon leur boulot.

Et au milieu de tout ça, l’amour passe souvent au second plan. « Nous sommes jeunes et inquiets des perspectives sur le marché du travail » est le titre d’une chanson de Peter Licht de l’année 2001. « All you need is love » ? Ça était 1967. Les circonstances économiques ne sont pas seules favorables à l’amour à distance. Un vol à bas prix de Paris à Rome fait 17 euros, un appel à Alger coûte moins cher qu’une communication urbaine. Avec le logiciel Skype et une webcam branchée on peut même écouter et voir en direct le partenaire, pourquoi pas en pleine forêt vierge brésilienne ? Pourvu qu’il ait une connexion Internet ! Mais si l’amour à distance semble réalisable, les technologies facilitant la communication entre ceux qui s’aiment, il n’existe toujours pas de moyen moderne pour compensser le manque de contact humain.

« Wish you were here »

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Les problèmes d’un amour à distance sont nombreux. Proximité absente, communication manquante, sexualité pratiquemment réduite à néant… « Sans toi je suis comme sans bras, comme sur une île inhabitée », écrivait l’auteur Anton Tschechow à son épouse Olga Knipper. A cause de son affectation de tuberculose il ne pouvait passer que peu de semaines par an avec elle. Les partenaires vivaient dans deux mondes différents, ne partageaient pas de quotidien.
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(L’amour à distance fait mal par le bilan qu’il impose : billets de train et d’avions, des lignes de relevés de compte qui chaque mois nous font conclure: au crédit, au débit.)

L’amour à distance est peut-être l’amour le plus brutal parce qu’on peut constamment vérifier le bilan – par les billets de train et de l’avion. On pourrait les parcourir comme des relèves de compte chaque mois pour conclure : au crédit, au débit.

(Au fur et à mesure de l’éloignement diparait la compréhension de l’autre et les sensations qui vont avec.)

Plus longtemps les partenaires sont mis à part, plus disparaît la compréhension pour la manière de penser et de sentir de l’autre.
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Pour y remédier beaucoup de couples s’appellent régulièrement. « I just call to say I love you », est la devise. La communication doit remplacer les rituels qui font un couple, comme se tenir à la main. Herz_web.jpg Mais attention ! Le téléphone est aussi le médium des malentendus. Il y ce fameux « Mais tu as quelque chose ! ». Le plus souvent il n’y a rien entre les partenaires, sauf les kilomètres.
Selon des études américaines la fréquence des appels et rencontres n’a que peu d’influence sur la durée d’un amour. Les lettres écrites à la main peuvent à elles seules avoir un effet presque thérapeutique. Peter Wendel, théologien et sociologue allemand, distingue trois phases de l’amour à distance : D’abord les partenaires se sentent isolés, puis vient le temps de la fureur et de la tristesse, plus tard la séparation spatiale est acceptée et on voit dans ce rapport une opportunité liée à la liberté. Il est vrai qu’elle est grande dans un amour à distance, mais le partenaire est toujours en réserve. On est célibataire sans être obligé constamment d’obéir à l’impératif catégorique de l’existence d’un célibataire : Tu dois te chercher un amour ! Non, l’amour est déjà là. Dans le coeur, juste ici, il y a celui qu’on a choisi, et qui, lui, est si loin, là bas.

Je ne te reconnais pas
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???
« Vous demandez quand ils vont se séparer ? Bientôt. / Ainsi l’amour apparaît aux amants comme un appui », est un verset du poète et tombeur de ces dames Bertold Brecht pour décrire la fluidité de l’amour.
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Mais il y a une petite consolation pour tous les couples disjoints : Les relations à distance tiennent aussi longtemps que les autres. C’est à ce résultat qu’en est arrivé Gregory Guldner. Pour son livre « Long Distance Relationship – The Complete Guide » le psychologue américain a étudié 200 relations des couples séparés par une moyenne de 200 kilomètres. Les partenaires ne sont pas plus souvent infidèles que ceux vivant géographiquement proche l’un de l’autre.
La comparaison montre pourtant une différence. Les amants à distance sont plus jaloux. « Les partenaires disjoints s’inquiètent plus des affaires de l’autre. » En moyenne, un amour à distance dure trois ans, après les couples emménagent ensemble ou se séparent. Le moment clé d’une relation à distance est, en effet, le revoir. Après un, deux, trois ans les personnes ne sont plus les mêmes. Peter Wendl parlent d’un « effet de Noël » car la situation ressemble à des visites familiales pour les fêtes de la fin d’année. Pour transgresser la séparation il faut au moins autant de temps que celle ci a duré. Il faut s’habituer de nouveau à sentir et toucher l’autre. A l’euphorie suit presque inévitablement le constat : « Je ne te reconnais plus. » Les amants se sont détachés peu à peu l’un de l’autre. Le défi est de se redécouvrir.

Sophie et Bernard ne veulent pas passer plus de deux ans aussi loin l’un de l’autre. « Chaque nuit un côté du lit reste vide. Ça ne doit pas s’éterniser », dit Sophie. Mais qui va rejoindre qui ? Ils n’ont pas encore trouvé la solution.
Par téléphone, affirment les deux, la discussion sur ce type de question n’est simplement pas possible.