Ce 6 février 2024, 9,5% des professeurs de collège étaient en grève selon le ministère de l’Éducation nationale. À Toulouse, ils sont une quarantaine à s’être rassemblés devant le rectorat pour dénoncer les groupes de niveaux qui seront mis en place dès la rentrée 2024.

« Entre ce qui est annoncé à la télé par le gouvernement et ce que l’on vit dans les salles de classe, il y a un réel décalage», se désole Stéphanie, professeure d’espagnol au collège Jean-Pierre Vernant de Toulouse. Ce 6 février 2024, l’enseignante en grève est venue témoigner de sa colère devant le rectorat de l’Académie de Toulouse, accompagnée de quatre autres de ses collègues.

Au total, une quarantaine de professeurs a répondu à l’appel lancé par trois syndicats enseignants – CGT éduc, SNES-FSU et SUD éducation – qui fait suite à la mobilisation du 1er février. Selon Pierre Prioret, secrétaire général du SNES-FSU, un professeur sur cinq participerait ce 6 février à la grève dans l’académie.

La colère des professeurs face aux groupes de niveaux

Dans tous les bouches, le « choc des savoirs », que chacun dénonce. Par ce terme, les enseignants désignent un ensemble de mesures présentées le 5 décembre 2023 par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale. Une réforme du système éducatif dont le but est d’ « élever le niveau de l’école » à travers un enseignement plus exigeant.

Du côté des concernés, le discours est tout autre. « Le choc des savoirs, c’est en réalité une école du tri !, s’exclame Pierre Prioret, qui enseigne les mathématiques dans un lycée toulousain. Mes collègues et moi-même n’avons pas choisi d’être professeur pour trier les élèves et les condamner à ne pas poursuivre leurs études. Il y a une véritable colère car ce ne sont pas des valeurs que nous portons. »

Ce refus de « trier les élèves » est en tête des revendications des professeurs rassemblés ce 6 février. En cause, parmi les mesures du « choc des savoirs », la création de groupes de niveaux en mathématiques et en français dès la rentrée 2024. Et ce, pour tous les élèves entre la 6ème et la 3ème, sur la base de leur dossier d’école primaire. Une proposition qui alarme les enseignants. 

« C’est le contraire de l’essence même de notre métier »

Selon Stéphanie, professeure d’espagnol, rien ne prouve le succès de cette méthode : « on constate au contraire quotidiennement que c’est lorsque les enfants sont mélangés qu’il y a une réelle stimulation, car les élèves en difficultés sont stimulés par les autres. » Marion, enseignante en sciences au collège de l’Union, partage le même constat. « C’est le contraire de l’essence même de notre métier, où l’on apprend à vivre ensemble, travailler ensemble et apprendre ensemble », dénonce-t-elle. Ajoutant avec émotion : « c’est à pleurer. Cela nous fait mal d’avance pour les élèves qui seront considérés comme les plus faibles. »

Dans le viseur des enseignants, le gouvernement dans son ensemble. « Personne ne nous a consultés. Nous ne nous sentons ni respectés ni écoutés donc il y a un ras-le-bol général », souffle Aïcha, professeure de sciences au collège de l’Union. D’autant plus que les préoccupations des enseignants sont assez éloignées des mesures mises en place.

Si le port de l’uniforme a monopolisé l’attention des Français pendant plusieurs semaines, en réalité, d’après les professeurs, le gouvernement regarde du mauvais côté. « C’est une mesurette, s’exclame Marie, qui enseigne les sciences de la vie et de la terre dans un établissement au sud de Toulouse. Je n’ai pas vraiment d’avis sur l’utilité de l’uniforme, mais ce n’est pas le combat. On ne parle que de ça alors que ce n’est pas ce qui va faire progresser les élèves. »

« L’éducation est la dernière roue du carrosse pour le gouvernement »

De quoi se plaindre du manque de considération de la profession. « On a l’impression que l’éducation est la dernière roue du carrosse pour le gouvernement. Un ministre est nommé pour six mois, puis on a une nouvelle ministre qui a plusieurs ministères – Éducation nationale, Jeunesse, Sports et Jeux Olympiques et Paralympiques – à la fois », se désole l’enseignante. En témoignent les nombreuses pancartes visant directement Amélie Oudéa-Castera, lui décernant notamment « la médaille d’or du mépris ».

Et Pierre Prioret de conclure sur les récentes polémiques autour de l’ancienne joueuse de tennis : « elle est en réalité ministre de l’éducation privée puisqu’elle défend un modèle d’école séparatiste, qui n’est pas l’école de tous les enfants de la République. Il y a une logique qui rappelle celle de l’hôpital, à savoir désorganiser complètement le service public d’éducation pour lui substituer des formes d’écoles payantes qui sont inégalitaires. »

Si la présence de ces professeurs devant le rectorat concerne en majeure partie le futur de leurs élèves, certains déplorent également en arrière plan l’absence de la hausse de leur salaire. C’est le cas de Marie : « notre métier n’est pas valorisé. On a l’impression que nos savoirs et savoir-faire ne sont pas respectés. Sans les primes, notre salaire de base n’est pas très haut donc on s’inquiète aussi pour les retraites. »

Face à cette situation, le 19 mars prochain, les syndicats enseignants présents au rassemblement du 6 février participeront à la mobilisation de la fonction publique afin de réclamer des mesures concernant leurs rémunérations.

Photo : Elsa Soula.