Le projet du photographe toulousain Philémon Barbier, exposé du 25 janvier au 14 avril à la galerie du Château d’eau dans le quartier de Saint-Cyprien à Toulouse, s’intitule « Rien à perdre ». Une manière pour lui de donner une signification nouvelle au mot rap et de raconter une jeunesse majoritairement masculine, qui se construit et se cherche.

Hugo MJ : Quelle est l’origine de votre projet « Rien à perdre », exposé à la galerie du Château d’eau depuis le 25 janvier ?

Philémon Barbier : Tout est parti d’un appel à projet autour du photojournalisme intitulé « Radioscopie de la France, regards sur un pays traversé par la crise sanitaire ». Il s’agissait d’une commande du ministère de la culture, organisée par la Bibliothèque nationale de France [BnF]. C’était une manière de raconter la France après la pandémie, même si nous avons été totalement libres sur le choix des sujets.

Pourquoi avoir choisi de parler des jeunes toulousains des quartiers populaires et du rap ?

L’appel à projet m’a permis de me lancer définitivement dans un projet que j’avais en tête depuis un certain temps. Je savais qu’il y avait quelque chose à raconter mais je ne savais pas encore comment. Et puis, c’est un milieu que je connais bien puisque j’y ai grandi. J’écoute la même musique que les jeunes avec qui j’ai travaillé et on se comprend, on a les mêmes codes. D’ailleurs, je connaissais déjà certains d’entre eux.

Dollar et Price, 20 et 22 ans, dans le centre ville de Toulouse le 25 novembre 2022. © Philémon Barbier / Collectif Hors Format / Tous droits réservés.

Sur votre site internet, vous parlez des grandes thématiques du projet comme le fait d’être jeune à notre époque dans les milieux populaires, de se construire avec le rap, de chercher sa place… Ce sont des choses que vous aviez déjà en tête ou c’est venu au cours du projet ?

J’avais réfléchi aux grandes thématiques avant de me lancer dans le projet. Elles m’ont d’ailleurs permis de construire le dossier de candidature. La difficulté est venue dans la manière de travailler car ce sont des thématiques pas faciles à représenter visuellement. Comme il s’agissait d’un environnement que je connaissais très bien, je n’arrivais paradoxalement pas à voir ce qu’il y avait d’intéressant à photographier. J’ai dû tout désapprendre pour réapprendre. Pour avoir un regard neuf et pertinent sur le sujet, je me suis dit « Ok, fais comme si tu ne connaissais rien » et ça m’a mis sur de meilleures bases. Je voulais aussi me détacher de tous les clichés et surtout, ne faire aucune mise en scène pour rester fidèle à la réalité.

« Le rap, c’est raconter le monde dans lequel on vit avec sa sensibilité propre »

Philémon Barbier

Vous évoquez la masculinité comme ayant une place centrale dans ce milieu. Comment l’avez-vous ressenti dans ce projet ?

C’est un milieu très masculin, en effet. J’ai constaté des questionnements sur ce que c’est que d’être un homme de cet âge-là, dans le milieu du rap, à notre époque. Certains jeunes cherchent à se détacher, et d’autres non d’ailleurs, des codes préétablis dans le milieu du rap. Je trouvais ça intéressant personnellement, parce que ce sont des choses dont je n’avais jamais vraiment discuté avec mes potes quand je vivais là-bas. Et à travers le projet, ceux avec qui j’ai travaillé ont trouvé intéressant de se poser ces questions. 

Est-ce que vous considérez que vous avez travaillé sur un sujet aujourd’hui invisibilisé ?

Je ne suis pas sûr que le bon mot soit « invisibilisé », parce que le rap est très répandu. Cependant, aujourd’hui, les représentations médiatiques de ce genre musical sont souvent très clichées et réparties en deux catégories. On aurait d’un côté le rap très « street », centré sur des cités dures, de la délinquance et de la drogue. Et de l’autre, un style plus policé, plus doux. Un style à la Nekfeu, qui est aussi le style qui plait le plus en général. Souvent, on oublie tout l’intervalle entre ces deux extrêmes. Il existe une zone très vaste où les artistes cherchent et expérimentent leur style. C’est toute cette frange-là que j’ai voulu mettre en avant dans ce projet, des jeunes pour qui le rap est un moyen de raconter le monde dans lequel on vit, de la façon dont on le perçoit et avec sa sensibilité propre.

Philémon Barbier naît en 2000 en région parisienne. À un an, il part vivre à Toulouse avec ses parents. Il y reste jusqu’à ses 19 ans après y avoir fait toute sa scolarité et enchaîné des petits boulots. En 2019, il va étudier à Paris à l’École des métiers de l’information (EMI) pour une formation de six mois en photojournalisme. Depuis, il alterne entre des prestations pour les médias et des projets plus longs. C’est en 2022 qu’il réalise son projet « Rien à perdre » exposé au Château d’eau jusqu’au 14 avril.

Crédit photo de couverture : © Philémon Barbier / Collectif Hors Format / Tous droits réservés.