Le projet de construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Muret soulève une vive opposition de la part des habitants et d’associations de la région, mettant en lumière les conséquences écologiques et sociales dévastatrices de ce chantier.

Le 1er novembre 2023, la densité carcérale s’élevait à un taux record de 123,2%. Afin de pallier cette problématique de surpopulation, l’État lance en septembre 2018 le “plan 15 000 places de prison”, qui consiste en la construction de nouvelles infrastructures carcérales. Dès 2016, Manuel Valls annonce la construction d’un nouveau centre pénitentiaire dans la commune de Muret, au Sud de Toulouse. Une nouvelle loin de faire l’unanimité au sein de la population locale, qui déplore ses impacts sociaux et environnementaux. 

Une aberration au regard des préoccupations environnementales

Avec une artificialisation prévue de 17,5 hectares de terres agricoles de première catégorie, ce projet est qualifié d’écocide par une grande partie des personnes qui s’y opposent, en contradiction flagrante avec les préoccupations environnementales actuelles. Le bétonnage et l’artificialisation des sols inhérents à ce projet menacent la biodiversité, notamment dans une zone agricole protégée. Les habitants ont observé la présence de 66 espèces protégées au sein d’un bosquet de cinq hectares, figurant sur la zone où est prévue la construction du futur centre pénitentiaire.

Ces découvertes ont incité plusieurs associations, dont l’association “Citoyennes et citoyens pour l’Écologie et la Solidarité A et Autour de Muret” (CESAAM), à déposer un référé-liberté devant le tribunal administratif de Toulouse afin de contrer la décision du préfet de Haute-Garonne. Ce dernier a en effet signé en juillet 2021 une Déclaration d’Utilité Publique, et ce malgré un avis défavorable prononcé par Christian Bayle, le commissaire enquêteur chargé de l’enquête publique. 

Malgré cela, Étienne Guyot, le préfet de la Haute-Garonne, a sollicité une dérogation de la stricte protection de certaines espèces au nom d’un prétendu « intérêt public majeur » entre septembre et octobre 2022.

Une coalition citoyenne et associative qui fait front contre l’État

En réaction à la menace écologique posée par ce projet, les habitants de Muret se sont rassemblés au sein du Collectif des Riverains, qui a vu le jour en 2020. Ce collectif, initialement composé en grande partie d’agriculteurs et d’agricultrices, est épaulé par la Chambre d’Agriculture de Haute-Garonne ou encore les Jeunes Agriculteurs Occitanie. “Ce projet est une aberration pour les agriculteurs du coin. Les 17,5 hectares qu’ils comptent bétonner sont des terres très fertiles grâce au canal du Peyramont, dédiées à la culture de céréales” explique Anne-Marie Cucchi, porte-parole du Collectif des Riverains. “Après la crise alimentaire, l’inflation due à la guerre en Ukraine, une telle décision est un non-sens absolu.”

Ce nouveau centre, c’est 37 000 m3 de béton, des barbelés, des projecteurs, des hauts parleurs…” précise Anne-Marie Cucchi. En plus de menacer les activités agricoles locales par l’artificialisation des sols, ce projet inquiète les habitants quant à la gêne visuelle et sonore qui en découlera. “Il va aussi falloir créer des routes, et des infrastructures pour que ce centre soit raccordé aux axes qui existent déjà. Tout va s’intensifier si ce projet est mené à terme.”

Cependant, la portée de cette opposition ne se limite pas au domaine agricole, comme en témoigne l’implication de la Ligue des Droits de l’Homme. Cette dernière, animée par des revendications plutôt anti-carcérales, souligne la diversité des acteurs unis dans leur résistance.

La mairie de la commune s’est également prononcée contre l’emplacement choisi par l’État, à l’instar du commissaire enquêteur du projet. Ce dernier avait notamment formulé une critique à l’encontre du chantier entrepris car l’État n’avait pas présenté de solution alternative au projet initial,  un usage courant pour des constructions de cette ampleur. Il a souligné en 2021, lors de l’enquête d’utilité publique qu’une autre zone, sans consommation de terres agricoles et sans expropriation de propriétés privées aurait pu être envisagée. Mais l’État, unique décideur, a délibérément choisi d’ignorer ces recommandations. Cela suscite des réactions critiques, y compris de la part d’acteurs institutionnels.

Un rapport de force jugé asymétrique

Parmi les citoyens, qui ont cherché à faire entendre leur mécontentement en ayant recours à la Participation du Public par Voie Électronique (PPVE), l’absence quasi totale de considération cristallise les tensions. Les préoccupations citoyennes ont été largement ignorées, comme le démontrent les contributions sur le registre dématérialisé ([1]).

Le rapport de force face à l’État semble trop asymétrique pour faire valoir les revendications sociales et environnementales des acteurs en lutte contre le projet. “On interpelle des élus, on contacte des ministères, on fait de la prévention auprès des populations locales. Mais face à l’APIJ et à l’État, qui passent en force, il est très difficile de mener à bien cette mobilisation”, confie Anne-Marie Cucchi.

En décembre 2023, les opposants ont découvert avec stupeur le défrichage partiel du bosquet de cinq hectares. Un début des travaux sans autorisation légale qui interroge les élus locaux. “Pour lancer des fouilles, il doit y avoir des autorisations, parce que c’est une zone de biodiversité. À la mairie, on n’a rien vu passer”, explique le conseiller municipal Frédéric Griot dans des propos rapportés par nos confrères et consoeurs de France Bleu.On a l’impression que c’est un coup d’accélérateur et un coup de force du ministère de la Justice.”

Face à cette situation, des associations en lutte contre ce projet ont déposé un nouveau référé-liberté devant le tribunal administratif de Toulouse. Malgré cela, c’est avec tristesse que les riverains ont constaté la poursuite du défrichage et le commencement de fouilles archéologiques ce lundi 8 janvier 2024. De leur côté, citoyens et défenseurs de l’environnement continuent de lutter contre ce projet pour obtenir gain de cause. Un nouveau rassemblement est prévu le 20 janvier 2024 devant la Sous-Préfecture de Muret pour réaffirmer la nécessité d’une réflexion plus approfondie sur les choix de développement urbain et leur impacts sociaux et environnementaux.


[1] Issu du bilan PPVE Muret, p.43 (https://www.ppve-muret.fr/upload/boxes/4169/documents/6377a8863a906_BILAN%20PPVE%20MURET%20version%20finale.pdf)

Crédit photo : Robert Crow