Un an après leur arrivée à Toulouse, Mykola, sa femme et son fils, s’adaptent tant bien que mal à leur nouvelle vie. Mais même une fois réfugiées en France, les familles ne sont pas épargnées par la guerre.
Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine, provoquant ainsi le départ de 9,8 millions d’habitants. Un an jour pour jour après le début de la guerre, la France recense plus de 65 000 autorisations provisoires de séjour délivrées à des Ukrainiens. Parmi ces réfugiés, Mykola Romanov, 30 ans, est l’un des premiers à s’être installé à Toulouse avec sa femme et son fils de 2 ans.
“Il faut quitter l’Ukraine”
Mykola n’avait pourtant pas prévu de quitter son pays d’origine au départ : « À 5h du matin le 24 février 2022, le plan était d’aller à notre maison de campagne à 30 minutes de Kyiv. » Le père de famille part retirer du liquide et acheter un groupe électrogène, des couches, de l’eau et des bananes. Mais lorsqu’il rentre chez lui, la nouvelle tombe, les chars russes sont entrés en Ukraine. « Je ne m’y attendais pas. Psychologiquement c’était très dur. Ça m’a fait peur. » Un ami lui indique que la frontière vers la Moldavie n’est pas encore bouchée. La décision est prise, « il faut quitter l’Ukraine ».
Arrivé à la frontière moldave, une cinquantaine de voitures sépare la famille des douaniers. « J’ai décidé de traverser à pied. On a estimé que la queue prendrait quatre ou cinq heures, et beaucoup de choses peuvent se passer en quatre ou cinq heures ». Mykola fait le bon choix, puisque peu après son passage, les douaniers reçoivent l’ordre de ne plus laisser passer les jeunes hommes. Son frère, resté dans sa voiture, n’aura pas la même chance. Après trois jours de voyage sans pause, Mykola, sa femme Olena et leur fils Kyi, arrivent à Toulouse. Ils logent dans un premier temps chez la cousine de Mykola, avant d’être accueillis par une famille à Aucamville où ils resteront quelques mois, le temps de trouver leur propre appartement.
S’adapter à l’arrivée en France
Pour Mykola, ancien directeur des projets digitaux chez Leroy Merlin Ukraine, l’adaptation à la vie française « n’a pas été compliquée ». « J’ai fait mes études à Sup de Com à Montpellier en 2012, donc je parlais déjà bien français en arrivant. » Bilingue et parmi les premiers arrivés à Toulouse, Mykola est le lien idéal entre préfecture et la communauté ukrainienne. « Je faisais la traduction pour la préfecture. J’y restais toute la journée pour accueillir mes compatriotes. » Au bout d’un mois, on lui propose un contrat de travail au service de délivrance des attestations provisoires de séjour.
Alors que Mykola se noie dans le travail, pour sa femme, c’est « beaucoup plus compliqué ». Olena ne parle presque pas français, elle ne travaille pas, et subit les crises de leur fils Kyi, « très affecté » par la situation. « J’allais au travail du matin au soir donc je ne le voyais pas tellement, mais elle prenait tout le contrecoup de son comportement. C’est un peu comme quand un enfant a les dents qui poussent. Ce n’est pas tous les jours, pas tout le temps, mais d’un coup il peut se mettre à pleurer et hurler. Et moi, je n’étais pas assez présent pour lui apporter du soutien. »
La vie peut-elle reprendre son cours ?
En août, les rôles s’inversent. Alors que leur fils s’apprête à rentrer en primaire, Olena intégre Airbus en intérim. « Son équipe lui a donné beaucoup de force et l’a fait se sentir valorisée. Elle s’est reconstruite grâce à eux. » Mykola lui, s’accorde un peu de répit : « Pendant six mois, j’étais tout le temps occupé. Je voulais faire au mieux pour ma famille. Alors après, je me suis calmé un petit peu. Et je ne faisais plus rien. Je n’avais plus d’énergie. »
Malmené par ce décalage et par une situation de réfugié complexe, leur couple bat de l’aile. « En arrivant en France, il y avait une forte interdépendance entre nous. Je pensais que c’était ce qui nous rendait plus forts. Mais je pense qu’Olena se sentait coincée dans notre petite famille. Ce n’était plus tout ce qu’elle avait, elle pouvait s’évader, trouver un peu de support ailleurs. » Finalement, Mykola et Olena décident de vivre séparément, et de partager la garde de leur fils.
“Retrouver le plaisir de la vie”
« Maintenant, ma vie est beaucoup plus compliquée que lorsque je suis arrivé, et bien plus encore que lorsque je suis parti. Peu m’importait du lieu, ma maison, c’était là où il y avait ma famille. Que ce soit en Ukraine ou en France, il n’y avait aucune différence. Maintenant, je ne me sens chez moi nulle part. » Comment se reconstruire socialement lorsqu’on se retrouve seul, à 30 ans, dans un pays inconnu ? Pour Mykola, qui s’avoue « peu sociable » c’est difficile. Passionné de karting et de musique Drum & Bass, il essaie tant bien que mal « de retrouver le plaisir de la vie. »
Une chose est certaine, un retour en Ukraine « n’est pas envisageable ». « À l’instant où l’on est partis, on savait déjà qu’on n’allait jamais revenir. On ne veut pas que notre fils grandisse parmi les gens qui ont été traumatisés. Et puis le climat social du pays a changé. Il y a toute une nation, un peuple, qui a été traumatisé par la guerre. Nous ne sommes plus pareils. »
Auteurs : Célestin Barraud et Elliot Dublanchet
Crédit photo : Elliot Dublanchet / Mykola Romanov