La présidente de la région Occitanie Carole Delga s’est rendue à Casablanca, au Maroc, la semaine du 13 février, pour célébrer le 10ème anniversaire de la maison de l’Occitanie. Cette structure consacre un partenariat décentralisé entre les deux territoires, duquel la présidente de région se félicite, affirmant que « la coopération occitano-marocaine a encore de beaux jours devant elle ». Une déclaration qui détonne dans un contexte franco-marocain anormalement froid.

Carole Delga était au Maroc ces 15, 16 et 17 février à l’occasion des dix ans de la maison de l’Occitanie à Casablanca. En pleine crise diplomatique entre ces deux pays, ce déplacement symbolique actant une coopération territoriale durable s’avère symbolique et de faible envergure. Pour Mohamed Tozy, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’IEP d’Aix en Provence et à l’Université Hassan II à Casablanca, cette visite n’a rien de très surprenant mais surtout, rien de très significatif. La France et le Maroc entretiennent des liens si étroits que la coopération entre les deux pays, bien que fragilisée, ne peut cesser du jour au lendemain.

À l’échelle régionale, Carole Delga peut prendre des positions qui n’engagent pas le chef de l’État et permettent de continuer d’entretenir les échanges. La part symbolique du partenariat entre ces régions est faible. La région de Casablanca entretient des échanges décentralisés beaucoup plus importants avec d’autres régions, comme la Wallonie (Belgique) ou la Catalogne (Espagne), qui ont une autonomie plus importante et donc un poids plus significatif dans leurs partenariats.

Un autre aspect relevé par Mohamed Tozy est la culture politique des partis traditionnels comme le Parti Socialiste ou Les Républicains, qui ont l’habitude de composer avec les élites marocaines. Pour lui, le président français Emmanuel Macron et son entourage n’ont qu’une très faible culture politique marocaine. Alors qu’historiquement, les élites françaises et marocaines sont très au fait du fonctionnement mutuel de chacun des systèmes et s’attardent à entretenir de bonnes relations, Emmanuel Macron a plutôt négligé ce rapport historique et décidé de se tourner vers le cas algérien. Une ouverture à l’Algérie conduite à la fois par des raisons historiques et des intérêts économiques ; mais qui n’en est pas moins mal reçue par la population marocaine.

Pour Mohamed Tozy, cette visite de Carole Delga a son importance symbolique, du fait du caractère présidentiable de celle-ci. La culture politique du Parti Socialiste étant plus ancienne, elle met un point d’honneur à privilégier les liens précieux avec le Maroc. Mais outre cette nuance, le poids de son déplacement est très faible et passe inaperçu dans le contexte franco-marocain dernièrement refroidi. Pour autant, elle n’incarne pas une véritable trahison à la politique tenue par Emmanuel Macron puisqu’à l’occasion de cette rencontre, l’ambassadeur français au Maroc s’est rendu à l’événement avec l’accord du Quai d’Orsay, ce qui représentait pour lui sa première sortie diplomatique en deux mois.

Des déclarations qui sonnent faux dans un contexte franco-marocain conflictuel

Le rapport diplomatique franco-marocain est embarqué dans une tendance délicate. Une tension qui se cristallise autour de la question du Sahara Occidental. Ce conflit de souveraineté territoriale oppose le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique proclamée par le Front Polisario (soutenu par l’Algérie). La France, qui a toujours été un allié du Maroc, ne peut se positionner frontalement en se mettant à dos l’Algérie.

En 2020, Donald Trump reconnait la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Dès lors, le Maroc obtient une place moins isolée sur la scène internationale, et un soutien plus important et affirmé que celui de la France, qui a les pieds et mains liés entre l’Algérie et le Maroc. Cette nouvelle donne sur l’échiquier international débouche sur un véritable désenchantement du Maroc et des Marocains envers la France.

L’année 2021 entérine des rapports conflictuels avec l’affaire de logiciel espion israélien Pegasus, qui révèle en juillet la surveillance de l’exécutif français par les pouvoirs marocains. En novembre, la France durcit les conditions d’octroi de visas français aux Marocains, Tunisiens et Algériens face au refus de ces pays de faciliter le transfert de leurs ressortissants illégalement établis sur le sol français. Cette décision est vécue comme un véritable affront par les pays concernés.

Suite à cette affaire dite « des visas » les ambassadeurs mutuels de la France et du Maroc ont été rappelés. Alors que la France en a renvoyé un il y a deux mois seulement, le Maroc campe sur ses positions. Dans ce contexte, Carole Delga annonce lors de son déplacement qu’elle continuera de porter « au nom de Régions de France et de l’Occitanie, la vitalité de la diplomatie des territoires et la réalité d’une relation de proximité, dans l’action et le faire. La coopération occitano-marocaine a encore de beaux jours devant elle ! ». 

Carole Delga marque la continuité d’un partenariat historiquement privilégié

Le Maroc et la France entretiennent une relation historiquement proche, souvent qualifiée de partenariat d’exception. Leurs liens commerciaux sont très étroits, la France étant le deuxième partenaire commercial du Maroc derrière l’Espagne, et son premier investisseur étranger jusqu’en 2018. Il en va de même pour leurs relations diplomatiques qui sont entretenues avec soin : la France a toujours été un soutien discret mais ferme du Maroc quand celui-ci était plus isolé.

Les deux pays sont aussi et surtout liés par une forte communauté partagée. L’ancien protectorat compte encore beaucoup d’immigrés français, et l’Hexagone rassemble aussi une grande communauté marocaine. Les échanges sont favorisés, c’est notamment le cas des étudiants marocains qui occupent la première place des étudiants étrangers en France. Entretenant cette culture politique, la présidente de la région Occitanie a initié en 2017 et 2018 des accords de coopération décentralisée avec les régions de Casablanca, Settat, l’Oriental et Fès-Meknès au Maroc.

Elle est aussi à l’origine du programme Régions 21 de formation de cadres et élus marocains. La création de la maison de l’Occitanie à Casablanca concrétise un terrain d’entente visant à favoriser les échanges et partenariats économiques, industriels et institutionnels entre ces deux régions. À l’occasion de son 10ème anniversaire, Carole Delga qualifie la maison de l’Occitanie comme « un pont jeté entre nos deux pays » partageant « une vision réciproque du développement, basée sur une relation équilibrée et gagnant-gagnant ».

Dans une interview donnée à Actu.fr lors de son déplacement, Carole Delga réaffirme l’importance d’amener au nom des Régions « une voix concernant la volonté de l’ensemble des présidents de Région de continuer de travailler avec le Maroc. » Des déclarations qui attirent l’attention sur le poids des grandes régions françaises.

Mila Branco

Crédit Photo: La Région Occitanie