Depuis la création de son Bureau des Tournages en 2016, la municipalité de Toulouse accueille de plus en plus de projets de fiction audiovisuelle. Capitale de l’Occitanie, région accueillant le plus de tournages après Paris, elle n’est cependant pas la destination privilégiée du grand écran. Ses ambitions dans le secteur sont freinées par l’absence historique d’une relation étroite avec le cinéma. Rétrospective sur un territoire déserté depuis toujours par les réalisateurs. 

Lyon est le berceau du cinéma, pour avoir accueilli le premier film des frères Lumière. Marseille possède un décor de carte postale. Paris peut compter sur sa force de centralisation et son héritage historique. Mais Toulouse ? La Ville rose souffre d’être enclavée géographiquement. Selon Isabel Birbes, chargée de projet du Bureau des Tournages, “les équipes parisiennes ont tendance à chercher des lieux moins compliqués d’accès”. Ses briques roses et les bords paisibles du canal du Midi n’ont jamais suffi à attirer les caméras. 

Certes, il y a eu les films récompensés du Groupe des cinéastes indépendants, une association de huit amateurs du septième art. Ils ont réalisé dans la ville et ses environs une quarantaine de films entre les années 1960 et 1970, et laissé une trace mémorable dans les collections de la Cinémathèque de Toulouse. Il y a eu des œuvres de Jacques Mitsch, à l’instar de Bonjour, je vais à Toulouse, un court-métrage de 1991. Mais aucun n’aura eu une dimension commerciale suffisante pour faire de la ville une véritable destination cinématographique.

Une augmentation des tournages qui ne fait pas rattraper à Toulouse son retard

C’est finalement la fusion des régions, en 2015, qui aide à faire envisager la ville comme lieu de tournage. Celle-ci peut désormais collaborer avec davantage d’acteurs, dont Montpellier, et bénéficier de moyens financiers et humains élargis. En parallèle, une politique d’attractivité est menée par la municipalité de Jean-Luc Moudenc, comprenant la création d’un Bureau des tournages en 2016 et d’un fonds de soutien dédié à la création de fiction audiovisuelle en 2020. 

Malgré les actions entreprises, et le doublement des projets accueillis entre 2020 et 2021 (passant de 100 à 265), Toulouse est toujours à la traîne. Selon Occitanie Films, sur 2 141 jours de tournage réalisés en Occitanie en 2020, la ville n’en a que 74 à son actif. À titre de comparaison, Montpellier en comptabilise 826 pour la même année.

La différence entre les budgets alloués par les deux communes au soutien des productions de longs-métrages, téléfilms et séries, n’explique que partiellement cet écart : 500 000 € en 2021 pour Toulouse, contre 700 000 € pour Montpellier en 2022  (sur un total d’aides estimé à 4 M€ à l’échelle régionale). 

À Montpellier, le décor d’Un si grand soleil et de Tandem est une fabrique audiovisuelle bien mieux équipée pour répondre aux besoins de la filière. Sociétés de production, studios et prestataires techniques ont pu se développer grâce à un environnement géographique plus avantageux, à la fois en termes d’ensoleillement, de paysages et d’accessibilité. La Méditerranée est apparemment plus “filmogénique” que la Garonne.

De son côté, Toulouse héberge les studios TAT depuis leur fondation en 2000, et qui sont devenus une véritable référence dans le monde de l’animation avec leurs succès internationaux comme Pil et Les As de la jungle. Mais aussi le Grand Set, un projet de la société de production Master Films qui a vu le jour en 2020. Ce dernier est, à ce jour, l’unique studio de tournage de grandes dimensions en Haute-Garonne. Il a notamment accueilli l’équipe de Ma part de Gaulois, un film de Malik Chibane, dont la sortie en salles est prévue pour cette année.

Mais ces projets de grande envergure restent relativement rares. Seuls cinq long-métrages tournés à Toulouse sont répertoriés pour 2022. À noter qu’il s’agit presque exclusivement de productions parisiennes, la ville étant pourvue essentiellement de sociétés de productions institutionnelles (films d’entreprise, clips publicitaires, etc), et non de fiction.

Pas de clap de fin pour autant

Ces dernières années, le contexte national tend à évoluer, laissant entrevoir des perspectives favorables pour Toulouse. “Tourner à Paris devient de plus en plus compliqué, ce qui nous permet de récupérer des projets en province, même si ce ne sont pas ceux qui ont le plus de budget”, explique Isabel Birbes. Elle ajoute que “plusieurs petites entités, telles que l’association des scénaristes d’Occitanie, essaient de relocaliser l’activité des Toulousains à Toulouse”. Avec 22 ans de carrière, 12 films, 4 séries et 2 récompenses, l’ancien étudiant à l’ESAV Éric Valette est l’un des rares Toulousains à ne pas avoir oublié sa ville d’origine. En 2017, il réalise Le Serpent aux mille coupures, en choisissant notamment de tourner à Toulouse, Gaillac et Rabastens. 

Mais la plupart des cinéastes créent leur carrière à Paris, la destination incontournable où les meilleures opportunités se trouvent… S’ils ne décident pas de partir à l’étranger. Selon un professionnel du cinéma d’animation, “les diplômés de ce secteur précis sont très sollicités au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, là où il y a les plus grands studios”. Quand on sait que c’est un studio français, Mac Guff Ligne, qui a réalisé le succès américain planétaire Moi, moche et méchant, on comprend bien que le défi ne consiste pas à développer de nouveaux talents, mais à les garder. 

Il reste que Toulouse, en tant que décor, n’a pas une grande marge de manœuvre pour devenir plus attractive. Elle ne peut pas gommer son rose, ses rues, ses bâtiments et ses pavés. Or, beaucoup de productions recherchent des villes ressemblant à Paris, les scénarios se déroulant presque toujours dans la capitale. D’après Isabel Birbes, “les réalisateurs ont peur de la briquette, ils préfèrent les choses neutres”.

Elsa Joulin, responsable du site de Toulouse d’Occitanie Films, conteste cette image faussée : “il faudrait montrer des facettes différentes de Toulouse”. Car si le centre-ville est très caractérisé par son style architectural, il y a aussi les banlieues pavillonnaires, les cités et le périphérique, qui pourraient tout-à-fait correspondre à ce que peuvent rechercher les réalisateurs. 

Pour ce qui est d’attirer une série quotidienne, il faudra encore attendre. “Au vu de l’implantation de trois séries quotidiennes (Demain nous appartient, Un si grand soleil, Ici tout commence) dans le bassin de Montpellier, nous espérons davantage une série récurrente (ndlr : à plusieurs saisons)”, explique Elsa Joulin. Malgré tous les efforts entrepris ces dernières années, le quai de la Daurade n’est pas le décor idyllique des plages azuréennes, et la place du Capitole ne vaut pas la tour Eiffel.

Crédits photo : Bureau des tournages – Agence d’attractivité de Toulouse métropole