Le 9 février 2023, à Toulouse, Alain F*. tente de rentrer chez son ex-compagne, violant son avis d’éloignement. Après son refus, il la pousse contre l’encadrement de la porte, l’assommant sur le coup. Un procès pour violence sur ex-conjoint qui nous éclaire sur l’évolution du traitement des agressions sexistes
21 février, 15h, salle d’audience 4 du Tribunal Judiciaire de Toulouse. Madame la Présidente met ses lunettes et annonce les faits : « Le 9 février, la gendarmerie est appelée vers 13h pour signaler une violation de domicile ainsi que des violences sur ex-conjoint sur la personne de Sarah M.*, qui est emmenée aux urgences.” Alain F., dans la journée, a tenté de se rendre chez son ex-conjointe, et mère de sa fille, pour voir son enfant avant leur déménagement. Le problème : suite à des plaintes précédentes, la victime possède un avis d’éloignement contre le prévenu. Lorsqu’elle lui ouvre la porte et reconnaît son visage, elle la referme aussitôt, mais il place son pied dans l’entrée pour l’en empêcher. S’ensuit une confrontation rapide et violente : Alain F. demande à voir sa fille, Sarah M. refuse, il la pousse et sa tête frappe l’encadrement de la porte. Le prévenu contacte les secours avant de fuir.
Des versions qui diffèrent
Alain F. intervient : “Ce n’est pas ce qu’il s’est passé”, prévient-il. Selon ses dires, c’est elle qui l’aurait frappé à la hanche avec son pied. Ensuite, elle aurait glissé et se serait cogné elle-même contre l’encadrement de la porte. “Je sais que j’aurai dû rester, après avoir appelé les secours” explique le prévenu, “mais je n’avais pas le droit d’être là, je le reconnais. J’ai préféré partir.” La violation de domicile, il l’avoue. Mais les violences, jamais. Madame la Présidente l’interrompt : plusieurs blessures ont pourtant été notées sur la victime, dont une à l’œil et une ecchymose à la cuisse. “C’est ce que je dis” s’explique t-il, “Elle m’a mis une chassée à la hanche, puis elle est tombée contre l’encadrement de la porte.” Madame la Présidente n’a toujours pas l’air convaincue : “Dans le dossier,”, dit-elle, “je lis que la victime a très peur, qu’elle a l’impression de vous voir partout.” Alain F. change immédiatement de d’expression : désormais, c’est un regard en colère qu’il jette sur Sarah M. : “Elle est folle,” se justifie t-il. Elle a les yeux embués, mais c’est pleine de rage qu’elle répond : “Menteur !”
Une histoire de violence
Le procureur se lève et demande le calme. Il interpelle le prévenu à propos de deux autres condamnations : une le 19 Avril 2022, pour menace de mort sur ex-conjoint, puis une autre, quelques mois plus tard, pour appel malveillant sur ex-conjoint.
“Ces délits, Monsieur F.,” demande-t-il, “étaient-ils dirigés vers Madame M. ?”
“Oui,” répond le prévenu, “mais je…”
Le procureur l’arrête. Il ne souhaite pas entendre de justifications, et c’est à l’avocate de la partie civile de parler :
“Monsieur F.”, commence-t-elle, “ne nie pas seulement les faits. Il attaque Madame M. pour tous les maux de sa vie.” Ainsi, c’est un passé de violence qu’elle dépeint, contre son ex-compagne et contre sa fille. Elle a témoigné que son père avait, à de nombreuses reprises, levé la main sur elles. Le discours du prévenu, elle explique, est celui d’un homme violent : minimiser les faits, et se victimiser. “Mais, si Madame vous a fait vivre un enfer avec ses mensonges”, continue l’avocate, “alors elle est très bonne menteuse, vu les différentes condamnations.”
Alain F. est assis. Il baisse la tête, emporté par l’émotion.
L’avocate termine : “Si il pleure, aujourd’hui, c’est pour lui-même.”
Le procureur partage la plaidoirie de la partie civile : “Le prévenu est centré sur lui-même,” ajoute t-il. “S’il souhaite voir sa fille, il devrait s’amender en tant que père, pas s’imposer.”
Une victime imparfaite
Finalement, c’est l’avocate de la défense qui prend la parole. Elle décrit alors la relation de son client et de la victime : un “je t’aime, moi non plus” qui a duré plusieurs années – le couple s’est beaucoup quitté et, malgré les prétendues violences, Sarah M. est presque toujours revenue vers son ex-conjoint. “D’ailleurs,” ajoute t-elle, “Madame M. a cinq autres enfants, qui avaient été placés avant qu’elle ne rencontre Monsieur F. En plus, plusieurs autres ex-conjoints de Madame étaient aussi violents – un hasard étonnant. Est-il si difficile de croire que c’était elle, qui était violente ?”
La victime lève les yeux au ciel, Madame la Présidente secoue la tête, visiblement peu convaincue.
Un tournant visible dans le traitement des violences sexistes
Après délibération, la sentence tombe : Alain F. est déclaré coupable de violation de domicile et de violence sur ex-conjoint. 18 mois d’enfermement, dont 6 avec sursis probatoire de 24 mois. La détention est maintenue, dû au risque de récidive, et le prévenu devra payer 1000€ à la victime pour préjudice moral, et 1000€ de plus pour préjudice physique.
Ainsi, voir une victime obtenir gain de cause, malgré ses erreurs, malgré la manipulation qu’elle a vécu, est neuf. Pour les mouvements de libérations de la paroles des femmes, cela représente une grande avancée.
Crédit photo : Numahell
*Les noms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.