Détrôner le confinement général, au profit de confinements régionaux. C’est ce que demandent de plus en plus d’élus locaux. Depuis le début de l’épidémie, le gouvernement se montre réticent face à l’idée de confiner localement. Pourtant présente dans bon nombre d’esprits, cette solution semble quelque peu difficile à mettre en place dans notre pays. 

Pour la première fois depuis le début de l’épidémie, des confinements locaux, le week-end, vont être imposés sur le littoral des Alpes-Maritimes et à Dunkerque. Ces mesures interviennent plus d’un an après la découverte du virus en France. Pourtant, si l’on regarde chez nos voisins européens comme l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne, les mesures restrictives localisées sont en place depuis longtemps, voire depuis le début de l’épidémie. En Asie, le Vietnam, un des pays les moins touchés par l’épidémie, avait décidé au printemps dernier de confiner une ville entière après la découverte d’un cluster. Les écoles du pays avaient aussi été fermées très rapidement après la découverte d’une dizaine de cas dans le pays. En France, Edouard Philippe avait balayé la piste d’un confinement territorialisé pour les régions Ile-de-France et Grand-Est dans un soucis « d’effort de solidarité nationale« .

Les départements verts et rouges pour le déconfinement, des "mesurettes" pour l'opposition.

Les départements verts et rouges au moment du déconfinement, des « mesurettes » pour l’opposition.

Des mesures locales ont été prises mais elles ont souvent été minimes. En mai, pour le déconfinement, nous avions vu apparaitre une carte avec des départements verts ou rouges en fonction de différents indicateurs. Une différenciation au final presque uniquement cartographique, seuls les parcs et les collèges restaient fermés dans les zones rouges. Des « mesurettes » pour un grand nombre d’observateurs. Mi-octobre, lors d’une allocution télévisée, le Président annonçait un couvre feu pour huit grandes métropoles de France. Une mesure qui n’aura pas eu le temps de montrer ses effets car un nouveau confinement national était imposé à peine 15 jours plus tard.

Pour certains politiques comme Bernard Jomier, sénateur socialiste et médecin généraliste, agir au niveau local est la stratégie à suivre :

Mais pourquoi est-ce si difficile de mettre en place de telles mesures dans notre pays ? Voici 5 raisons pour essayer d’expliquer cette difficile mise en place.

  • Un obstacle constitutionnel. « La France est une République indivisible » proclame le premier article de la Constitution française. Prendre des mesures qui restreignent des libertés fondamentales comme celle d’aller et venir seulement pour une partie du territoire peut être considéré comme une entorse à cette unité et indivisibilité. Le principe de l’égalité devant la loi est aussi affirmée dans ce premier article. Or, il est clair que cette égalité n’est pas respectée en cas de mesures localisées. C’est d’ailleurs sur ce principe de non-discrimination que l’exécutif s’est appuyé pour repousser l’idée d’un confinement ciblé vers les personnes considérées fragiles. Pourtant, pour Jean Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur à Lille, le principe d’égalité « n’interdit pas de traiter différemment les personnes dans des situations différentes. Garantir la protection de la santé, à tous les citoyens, à la même valeur constitutionnelle que le principe d’égalité devant la loi. » Contourner ces principes constitutionnels est donc possible si l’on poursuit un but d’intérêt général comme la protection de la santé des français.

 

  • La forte centralisation de la France. Après le texte, la pratique. Contrairement à ses voisins européens (Italie, Espagne, Allemagne), la France n’est pas un Etat fédéral. A ce titre, les exécutifs locaux sont assez faibles. Si les Lander allemands et les Provinces espagnoles ont un fort pouvoir décisionnel notamment législatif, les régions et départements français n’ont que très peu de prérogatives. On parle parfois pour définir la France d’un Etat jacobin, en référence à ce groupe de révolutionnaires français qui voulaient tout centraliser pour garantir l’égalité de traitement de tous. L’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron parfois décrit comme Jupitérien suit cette logique de concentration des décisions depuis Paris. On l’a vu au cours de cette crise, le gouvernement a dit vouloir s’appuyer sur le couple maire-préfet pour prendre des décisions. Mais la plupart du temps, il a tranché seul, pour tout le territoire. La faiblesse des exécutifs locaux se voit également lorsque c’est le gouvernement qui annonce les mesures locales et non les maires ou les présidents de région. Le gouvernement ne pouvant pas connaitre la réalité et les spécificités de tous les territoires, il est très vite amené à agir de façon uniforme sur tout le territoire.

 

  • La peur d’un sentiment de discrimination. Fin septembre, la décision de fermer les bars et restaurants de la métropole Aix-Marseille avait provoqué un tollé. Des élus locaux avaient même intenté un recours collectif devant les tribunaux administratifs. Les habitants de la cité phocéenne se sentaient injustement punis. C’est le risque des mesures locales. A l’inverse, on peut également arguer que, lors de la fin du premier confinement ou durant le deuxième, des régions très peu touchées comme la Bretagne ont l’impression de payer pour les autres. Des élus bretons ont même écrit à Jean Castex cette semaine pour demander un allègement des mesures. Par exemple, dans le Finistère le taux d’incidence est de 56,7, soit quatre fois moins que la moyenne nationale. Mais à Brest, les restrictions sont les mêmes qu’en Moselle où le taux d’incidence est à plus de 300. Ce sentiment de discrimination ou d’injustice est donc également très fort dans ces territoires où le virus circule moins.

 

  • Des obstacles politiques. Les élections régionales dans moins de six mois s’annoncent déjà chaotiques pour la République en Marche. Confiner par régions serait vu pour certains dirigeants locaux comme une ingérence de l’Etat, une menace contre leur gestion territoriale. D’ailleurs au moment de la « crise » des masques ou des vaccins, on a vu de nombreux présidents de région vouloir prendre en main la distribution. Prendre des mesures localisées dans des régions où le président est contre ces décisions, c’est se retrouver en confrontation. Laurent Wauquiez ou Xavier Bertrand, voire même Anne Hidalgo à la Mairie de Paris, à qui l’on prête des ambitions présidentielles, pourraient en profiter pour s’opposer au gouvernement. Une menace pour 2022 aux yeux d’Emmanuel Macron.

 

  • La question des frontières régionales ou départementales. Prendre des mesures localisées peut poser problème pour les personnes qui vivent en lisière de plusieurs régions/départements. Dans des zones rurales par exemple, il peut être nécessaire de se déplacer ailleurs que dans son département, au motif d’une consultation médicale ou de courses de première nécessité. De même, de nombreux français vivent dans une région et travaillent dans une autre. C’est d’autant plus vrai pour les départements. Dans le cas d’un confinement localisé, quelles mesures pour ces personnes ? Autoriser seulement le travail, limité à un nombre de kilomètres donnés ? Beaucoup de questions techniques se posent.

 

Aujourd’hui, la question d’un nouveau confinement refait encore une fois surface. Le couvre-feu à 18h, s’imposant depuis trop longtemps, nécessite la prise de nouvelles mesures. Alors que les indicateurs se dégradent ces derniers jours, de nombreux scientifiques recommandent des mesures strictes sur tout le territoire. Mais la situation est loin d’y être uniforme. Fin janvier, Dominique Bussereau, président de l’assemblée des départements de France, confiait : « je pense que des mesures territorialisées dans un pays très grand comme la France, où les conditions météo sont très différentes selon les zones, pourraient être quelque chose de raisonnable et compris par nos concitoyens. » Après la Côte d’Azur et Dunkerque, le gouvernement va-t-il continuer sa nouvelle stratégie plus territorialisée ou rapidement se résigner à prendre de nouvelles mesures nationales ?

 

Photo de couverture : « OECD Forum 2018 – Arrival of Emmanuel Macron » by Organisation for Economic Co-operation and Develop is licensed under CC BY-NC 2.0