Photo : France TV Info.

Face à la défiance croissante à l’encontre des journalistes, le collectif « Paye toi un journaliste » est apparu à l’automne. Son ambition : dialoguer et faire bouger les choses pour renouer avec les citoyens. Interview avec Céline Durchon, l’une des journalistes à l’origine de ce collectif.

Les Français font-ils confiance aux médias ? La tendance est plutôt négative d’après le baromètre 2019 de l’institut Kantar. L’enquête montre en effet que seulement 50% des gens croient que les choses se sont passées comme le raconte la radio. Un pourcentage encore plus faible pour le journal (44%), la télévision (38%) et Internet (25%). Cette défiance, les journalistes la subissent sur le terrain, de manière plus ou moins violente. Journaliste pigiste pour plusieurs médias, Céline Durchon est prise à partie le 18 novembre alors qu’elle vient couvrir un rassemblement de Gilets jaunes à Montpellier pour BFMTV. Cible d’insultes et de crachats, elle lance quelques jours plus tard le collectif « Paye toi un journaliste », avec plusieurs de ses confrères. Elle a répondu aux questions d’Univers Cités en marge des Assises du journalisme à Tours.

 

Quelle était votre idée au moment du lancement du collectif sur Facebook ?

Dans un premier temps, c’était d’avoir un lieu où les gens pouvaient partager leurs expériences, avoir un lieu de parole pour que les langues se délient. À partir de ça, c’était de regrouper les solutions proposées pour renouer le dialogue avec le citoyen. Pour moi, il y a une fracture entre journalistes et citoyens. Beaucoup de gens ne savent pas comment on travaille, et ce n’est pas péjoratif. Beaucoup ne savent pas ce qu’est un pigiste, comment s’organise une conférence de rédaction… Je ne suis pas usée d’expliquer tout ça car les gens ont besoin de comprendre comment on travaille. C’est important de renouer le dialogue avec le citoyen, expliquer comment on fonctionne et déconstruire les préjugés sur notre profession.

 

À titre personnel, comment vivez-vous cette situation ?

J’ai été agressée le dimanche 18 novembre et pendant un mois, un mois et demi, j’avais un peu la boule au ventre à l’idée que BFMTV me demande d’aller sur le terrain avec les Gilets jaunes. Comme je savais que les gens avaient cette haine et cette image de BFMTV, c’était un peu compliqué. J’ai pris du recul, volontairement, j’ai moins pigé. Tant pis, j’ai moins gagné ma vie, mais j’en avais besoin. J’ai arrêté jusqu’à début janvier, puis j’ai repris petit à petit. Samedi, je retourne au milieu des Gilets jaunes pour la première fois, dans le Gard. Mais je me sens prête. Je fais mon travail, j’y vais, mais si ça se passe mal, je partirai. Maintenant, j’ose aussi plus dire les choses car on en a beaucoup entendu parler. On ose en parler, on ose aussi dire non.

 

Le collectif est né il y a maintenant quatre mois. Quel regard portez-vous sur son évolution ?

Il se développe petit à petit, on a de plus en plus de membres. Ça se stabilise, on tourne autour de  3 500 personnes aujourd’hui. Après l’étape du recensement des agressions, il y a celle où l’on voit ce qu’on peut en tirer, ce qu’on peut faire : savoir travailler différemment, faire remonter davantage à nos rédacteurs en chefs… Ce n’est pas une solution pérenne d’aller sur le terrain avec des agents de sécurité, une bonnette neutre, et de ne jamais dire qu’on est BFMTV. On ne peut pas continuer comme ça. J’essaye de rester positive car j’aime ce que je fais, j’adore mon boulot. Malgré ce que j’ai vécu, j’ai envie de dialoguer avec les gens. De très bonnes solutions ont été évoquées : la présence de médiateurs dans les rédactions, développer l’éducation aux médias dans les écoles, ouvrir les conférences de rédaction, faire des portes ouvertes… Petit à petit, des choses se mettent en place.