Au collège Vauquelin, classé en zone prioritaire dans le quartier du Mirail, à Toulouse, les enseignants se sont mobilisés pour organiser la Semaine de la presse consacrée à la « liberté d’expression », après les tragiques attentats de janvier (17 personnes assassinées). Du 22 au 28 mars, les collégiens vont écrire leur propre journal. Le but : libérer les paroles, éduquer aux médias, construire la citoyenneté.

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Les théories du complot ont beaucoup de crédit dans les discours de certains collégiens © Paul Conge/Univers-Cités

« L’affaire Charlie Hebdo, elle a trop d’incohérences. » Sofiane* a la langue déliée. Du fond de la salle de classe, survêtement de sport, baskets, il ressasse, sûr de lui, ce qui se raconte sur les sites conspirationnistes : le rétroviseur qui change miraculeusement de couleur suivant les vidéos, les gilets pare-balles des journalistes… « Quand les médias n’en parlent pas, ça fait réfléchir. »

Cette remarque provoque un tohu-bohu dans cette classe du collège Nicolas-Vauquelin, où les professeurs ont organisé, du 22 au 28 mars, une Semaine de la presse diligentée par le ministère de l’Education. « T’es allé vérifier ? », « Les journalistes parlent de faits réel, pas de ce qui se raconte sur Facebook ! » Ses camarades de classe protestent. D’autres nuancent. Comme ailleurs, chez cette génération qui s’informe sur les réseaux sociaux, le recours au « buzz » et au « sensationnel » par les médias traditionnels suscite une défiance commune. « Les médias exagèrent la gravité des choses, la violence », glisse Lisa*, une collégienne. Alors que tout le monde se coupe la parole, la professeure impose le calme avec mordant.

« Un collège de djihadistes »

Ce brouhaha et ces désaccords incarnent bien ce qui se joue actuellement au collège Nicolas-Vauquelin, établissement sensible situé dans les quartiers toulousains.
Car à lui seul, Sofiane n’est évidemment pas représentatif de ce qui se pense à Vauquelin. Mais il n’est pas non plus un cas isolé. « Cette histoire de complot est revenue plusieurs fois », se rappelle Olivier Xerri, le principal adjoint. « Tous les élèves ont une position par rapport aux attentats. »

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« Un temps est passé depuis les attentats, on peut désormais aborder certaines questions sans être dans l’émotion » Photo © Paul Conge/Univers-Cités

Depuis qu’une jeune recrue de Daech a été reconnue comme étant un ancien habitant du quartier, Vauquelin se trimballe une certaine réputation. Classé en zone d’éducation prioritaire, la moitié de ses élèves sont musulmans, beaucoup sont issus de l’immigration. « Les gens plaisantent en disant qu’on est un collège de djihadistes », grince Olivier Xerri.

Face aux « comportements déviants », et aux entorses à la Charte de la laïcité, le principal adjoint a donc répondu favorablement à l’initiative des professeurs. Défenseur de la laïcité, qu’il définit comme « l’unité du peuple autour des valeurs partagées », il estime que cette semaine banalisée est nécessaire. «La presse est attaquée, on s’est dit : pourquoi ne pas faire un journal ? »

« On mélange les classes »

Il se félicite « de faire sauter 900 heures de cours pour ce projet exceptionnel, ça vaut le coup ». Un choix pédagogique « fort » qui a été bien accueilli par les parents, dont certains seront chargés de l’édito du journal.

Cette idée de « transformer tout le collège en une grande rédaction » a été lancée par Séverine Curtaud, professeure d’histoire-géographie. « Un temps est passé depuis les attentats à Charlie Hebdo. On peut désormais aborder certaines questions sans être dans l’émotion », confie-t-elle, tout en montrant, dans des chemises cartonnées, les tableaux récapitulant le déroulement de la semaine.

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Des intervenants se relayent durant la Semaine de la presse pour sensibiliser au fonctionnement des médias © Paul Conge/Univers-Cités

Il ne sera plus question de 6e, 5e, 4e… « On casse les classes. Tous les niveaux seront mélangés » insiste Olivier Xerri. Les 500 collégiens seront répartis par groupes de 18 élèves. Sept grands thèmes seront abordés : l’utopie, la culture engagée, les médias, l’international, les enjeux de la science, les valeurs dans le sport et l’engagement citoyen. Des intervenants de divers milieux, particulièrement issus du journalisme, se relayeront pour épauler les 42 professeurs.

Pour Séverine Curtaud, « la défense des valeurs de la République » est le fil conducteur de la semaine, « le contenu journalistique permet de faire réfléchir les élèves sur des sujets comme la laïcité, la liberté d’expression, de manière moins frontale que s’il s’agissait d’un dialogue sur les attentats de Paris. »

Garance Bailly et Paul Conge
* les noms ont été changés