Grands oraux. Mieux que le retrait de points sur la moyenne, ces deux mots offrent l’incroyable pouvoir, au professeur qui les emploie, de rassembler les foules étudiantes tout en les rendant attentives à son propos. Il faut dire que l’enjeu est égal à l’hyperbolisme de la formule : les grands oraux signent la dernière étape du cursus à Sciences Po, et sanctionnent une formation acquise au bout de cinq années d’études. L’ultime marche avant le grand saut professionnel (sans parachute), en somme.
Une marche bien savonneuse cependant, qui tient en trois sujets, trois fois quinze petites minutes pour y répondre, et dont on ne saisit l’ampleur qu’une fois que l’on s’y est frotté. Car, à moins d’être doté d’une mémoire prodigieuse à la mesure d’un Funès borgésien ou d’un indéfectible optimisme comme le célèbre héros voltairien, on ne peut être certain de tomber sur un thème dont on maîtrise toutes les implications.
Les grands oraux supposent en effet d’être capable d’envisager les problématiques actuelles aussi bien que d’interpréter les citations des grandes figures de l’Histoire. Le tout en un laps de temps au cours duquel il vaut mieux mettre à profit toutes les références disponibles, quitte à recycler parfois quelques astuces de Comment parler des livres que l’on n’a pas lus de Pierre Bayard pour ne pas tomber en rade au bout d’une minute de présentation.
Mais, trêve de considérations matérielles : ce que les grands oraux nous invitent avant tout à considérer, avec la variété de leurs sujets, c’est l’ampleur de notre ignorance. Car, malgré cinq années d’études supérieures et, croyons-le, au moins autant de références plus ou moins bien maîtrisées, ce rite de passage permet de vérifier pleinement l’adage socratique, « je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien » et ce, même si l’on appose la mention Sciences Po à son CV. On aurait peut-être tort de l’oublier : car sans humilité, pas d’émerveillement, et le monde risque de devenir bien terne.