La Cinémathèque de Toulouse a organisé une soirée autour de l’immigration et de l’Arménie en présence de Serge Avédikian. Pour l’occasion, le réalisateur a présenté plusieurs de ses films et est revenu sur les problématiques qui lui tiennent à coeur: la reconnaissance du génocide et l’intégration des immigrés. « Univers-cités » l’a rencontré à cette occasion.

Avedikian.jpg

« Univers-cités » : C’est quoi être arménien en France ?

Serge Avédikian : Etre Arménien en France c’est déjà être citoyen français, je crois que quasiment tous les Arméniens installés en France depuis les années 1920, après ce qu’on a appelé le génocide, ont travaillé en France, ont fait des enfants, se sont installés. C’est donc avant tout être un citoyen français qui s’est intégré à la culture française sans oublier d’où il vient, la langue qu’il parle, parfois sa cuisine, ça dépend de ce à quoi les gens sont attachés.

Puis ils y a les nouveaux Arméniens qui n’ont pas de papier, c’est la nouvelle Europe, c’est l’ex-URSS, c’est Schengen, c’est ceux qui sont arrivés sans papier. C’est à eux qu’il faudrait le demander parce que moi, je suis citoyen français, je parle français, je suis considéré comme un comédien et un réalisateur français. Je n’ai pas oublié ma culture, j’ai des liens avec l’Arménie et les Arméniens mais ce n’est pas ma priorité dans la vie. Ma priorité c’est d’exercer mon art avec le plus de liberté et d’ouverture possible.

Etre Arménien c’est une préoccupation car on porte en nous un traumatisme, un génocide pas reconnu mais j’ai fait déjà beaucoup de films dessus. Je ne veux pas dire qu’il faut tourner la page, mais qu’il faut maintenant porter la question en Turquie, de façon pédagogique. Les intellectuels ont commencé mais il y a un tabou si fortement scellé, une telle ignorance, une volonté pas d’oubli mais de négation de la part de l’Etat. Un vrai travail de sape. C’est là-bas qu’il faut apporter la nouvelle, qu’est-ce que c’est d’être arménien en Turquie.

La France voulait pénaliser la négation du génocide arménien mais le projet a été abandonné. Etes-vous déçu ?

Le projet reviendra mais il est contestable, ce n’est pas si évident. Il faut bien sûr punir la négation quelle qu’elle soit. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution. Il faut porter la connaissance par des films, des débats, des dialogues en Turquie. Les communautés arméniennes ont fait leur travail en France et en Europe mais il y a aussi une communauté arménienne en Turquie, à Istanbul qui n’est pas énorme mais qui existe. Ils n’y arrivent pas, ils n’en ont pas la possibilité politiquement. Certains ont essayé et ils se sont fait tuer comme Hrant Dink (Ndr: miliant turco-arménien luttant pour la reconnaissance du génocide).

Connaissez-vous un peu la communauté arménienne de Toulouse ?

La communauté arménienne est très active car ils sont peu nombreux donc ils font des choses très concrètes, ils font venir des étudiants etc. Ce soir ils seront là et je suis très content car ils vont voir des films qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, des films qui ne parlent pas vraiment d’eux mais d’une autre Arménie. A la fois de la diaspora et de la Turquie qu’ils ne connaissent pas vraiment.

Ce sont des films sur l’immigration ou sur l’Arménie ?

Sur l’immigration même si l’Arménie est au cœur de la chose. C’est plus un film sur quelqu’un qui veut universaliser son état, essayer de le communiquer. Je pense que plus on fait un film de son village, plus c’est universel. Ça aurait pu être sur autre chose fait par quelqu’un d’autre, c’est à échelle humaine, ce n’est pas un film historique car il parle de gens, palpables et donc universels.

Un mot sur vos projets ?

Je suis en train de mixer mon film sur l’artiste Paradjanov (Ndr: cinéaste arménien opposé à l’Empire soviétique). Le grand public ne le connait pas mais ce n’est pas un biopic. C’est un film sur un artiste qui voulait être libre dans un contexte qui ne le permettait pas et qui l’a payé cher. Mais qui au lieu de se briser, a surmonté l’après-prison et a fait une œuvre d’art de sa propre vie à travers le collage entre autres car on ne lui permettait plus de faire du cinéma. C’est un film sur quelqu’un qui pourrait s’appeler autrement, c’est un film sur un artiste.

Je vais aussi mettre en scène un opéra à Paris, ce sera la première fois qu’un opéra arménien sera joué à Paris. Il s’appelle Anouch, le prénom d’une femme qui veut dire « douce », « ma douce ».

A la Cinémathèque

Nous avons bu la même eau

Lors de la soirée de la Cinémathèque, plusieurs films de Serge Avédikian ont été projetés. Pour commencer, le réalisateur a présenté une série de trois courts-métrages: Bonjour Monsieur, Au revoir Madame, et M’sieurs Dames. Ces films connus aussi sous le nom de la trilogie Kyléchian, du nom de son héros, relatent les aventures à la fois absurdes et réalistes d’un Arménien arrivant en France. A travers l’humour et l’auto-dérision, Serge Avédikian met en lumière les difficultés du quotidien pour un immigré. Des choses banales qui deviennent insurmontables avec le fossé de la langue et de la culture.

L’autre film intitulé Nous avons bu la même eau, est un documentaire dans lequel on suit le réalisateur retourner dans le village de ses grands-parents, aujourd’hui situé en Turquie. On y voit comment les Turcs ont littéralement remplacés les Arméniens chassés vers le désert et exterminés. Un film à la fois bouleversant et optimiste car on voit que l’hostilité que l’on pourrait imaginer à l’égard d’un Arménien fouillant les tombes de ses ancêtres en terre turque, n’est pas si évidente. Les Turcs semblent ouverts à ce dialogue qui fait souvent défaut même si, finalement, la question du génocide est bien souvent remise en cause ou tout simplement esquivée. On y découvre une Turquie tiraillée entre un endoctrinement étatique ancien et une volonté de remise en cause encore étouffée.