Cela fait un an que la révolution syrienne a commencé et la situation semble plus que jamais embourbée dans des imbroglios indépassables. Avec l’aide de trois étudiants reliés d’une manière ou d’une autre à la Syrie, retour sur les principales zones d’ombre du conflit. 

« Une intervention militaire serait un désastre pour les civils »

La situation syrienne s’envenime de jour en jour. Les Nations Unies et les pays de la Ligue Arabe tentent de trouver des solutions. À ce propos, les étudiants franco-syriens sont unanimes : une intervention militaire serait trop risquée.

« On ne demande pas d’intervention militaire sur terre, car ce serait un désastre pour les civils. La Syrie n’est pas la Libye. Il y a plus d’habitants » explique Mohammad, étudiant franco-syrien. En ce qui concerne les solutions à apporter pour résoudre le conflit, les avis divergent. Certains estiment qu’il faudrait donner des armes à l’opposition pour se défendre et faire tomber le régime de Bachar el-Assad. « Si la communauté internationale donnait des armes à l’armée syrienne libre, la révolte serait plus simple. Ce serait moins catastrophique pour la population syrienne qu’une intervention militaire étrangère, car il n’y aurait pas de bombardements aériens. De plus, nous avons une tradition anti-colonialiste. Le retrait des militaires étrangers prendrait dix ans et ce n’est pas ce que nous souhaitons » , insiste Mohammad.

Pour Julien, étudiant et spécialiste de la Syrie, donner des armes à l’opposition, n’est pas la solution. « Envoyer des armes à un pays en proie à des tensions risque de nourrir le conflit. Avec ou sans armes, l’opposition armée n’a pas les moyens humains de contrer l’armée régulière syrienne, qui est démesurément grande par rapport au pays », explique-t-il.

Les opposants au régime proposent également une couverture aérienne pour protéger les civils des bombardements mais les moyens militaires nécessaires ne sont pas suffisants pour une telle manœuvre.

Sarah, étudiante franco-syrienne, défend une solution diplomatique. « Il faudrait mettre davantage de pression sur le régime pour qu’il laisse entrer des experts. Je pense qu’il est nécessaire de chercher à connaître la vérité sur la situation actuelle. L’expertise de la Ligue Arabe était inefficace. Il faut une vraie enquête même si elle conduit à une vérité qui dérange pour le régime ». Ce serait une manière de mettre en avant la responsabilité de Bachar el-Assad dans le conflit. Pour Sarah, les armes sont déjà en circulation dans le pays. La corruption et le marché noir facilitent leur obtention.

Actuellement, les Nations Unies cherchent à mettre en place une intervention humanitaire. Elles s’orientent vers la mise en place d’une résolution qui demanderait un cessez-le-feu et un dialogue avec le régime. L’objectif est de mettre fin aux violences.

Des enjeux géopolitiques complexes

En dépit des violences nombreuses depuis le début de la révolte, l’intervention en Syrie reste problématique. Selon Sarah, « les interventions internationales dans la région sont très risquées, notamment en Syrie, qui est une plaque d’influence stratégique. On ne peut donc pas intervenir dans ce pays sans qu’il y ait des répercussions conséquentes ».

Dans le conflit syrien, le problème ne se joue donc pas seulement sur le plan des droits de l’Homme. Les rapports de force géopolitiques sont particulièrement compliqués. La région est en proie à des enjeux économiques et politiques mondiaux imbriqués les uns dans les autres.

Comme le souligne Sarah, « la Syrie a une frontière commune avec de nombreux pays: la Turquie, l’Iran, la Jordanie, Israël et le Liban ». Elle entretient des rapports privilégiés avec deux d’entre eux. L’Iran tout d’abord, avec laquelle elle s’est alliée depuis plusieurs années déjà, mais surtout le Liban, où le Hezbollah, mouvement politique chiite libanais, soutient le régime de Bachar el-Assad. C’est dans ce cadre que la Syrie occupe une place de choix dans le monde arabe: alliée du Hezbollah au point qu’elle a été accusée d’être impliquée dans la mort de Rafic Hariri, ancien président libanais sunnite, la Syrie fournit avec l’Iran et l’Irak des armes et un soutien diplomatique au mouvement politique. Ces liens souterrains expliquent par exemple le refus du Liban et de l’Irak de se prononcer en faveur des sanctions votées par la Ligue Arabe en novembre dernier. Cette alliance qu’on a surnommé le « croissant chiite » prime donc sur la guerre civile qui secoue le pays et permet le maintien du dictateur.

Plus intéressantes encore sont les raisons qui ont poussé officieusement la Russie à s’opposer à une intervention en Syrie. Selon Mohammad, « la Russie défend une stratégie économique pour revendre ses armes aux Syriens et pour conserver un allié au Moyen-Orient ». Et en effet, au-delà de son refus officiel d’éviter les tueries, la Russie n’a pas cessé de fournir des armes à Damas. Elle en profite ainsi pour faire passer un message politique à l’Iran, montrant qu’elle ne tourne pas le dos à ses alliés en période critique. En s’opposant au départ de Bachar el-Assad, la Russie emporte donc la mise. La Chine dans ce cadre, se contente simplement d’être solidaire de la Russie en raison de son soutien dans l’affaire nord-coréenne.

Dégager le régime et après ?

Si le régime de Bachar el-Assad tombe, il laissera place à une grande incertitude concernant l’avenir politique de la Syrie. Le parti Baas étant au pouvoir depuis cinquante ans, la plupart des Syriens ne connaissent pas la démocratie. Les opposants au régime défendent davantage l’idée de liberté et de dignité que l’idée de démocratie. « Les Syriens ont toujours été soumis à la propagande. On leur a mis dans la tête que seul le parti Baas pouvait régner. Après la chute du régime, chacun aura le droit de s’exprimer. Mais cela ne va pas être facile. L’éducation à la politique risque de prendre du temps. Je ne sais pas comment va se passer la transition », s’inquiète Mohammad.

En Syrie, la population n’est pas unanime contre le régime de Bachar el-Assad. Beaucoup de Syriens soutiennent le président de façon intentionnelle ou par peur de représailles. Une autre partie de la population est neutre mais préfère le maintien du régime plutôt qu’une situation de chaos où l’incertitude domine. Car le problème est bien là: l’opposition n’est pas assez structurée pour être crédible.

Différentes communautés se côtoient en Syrie. « Les alaouites, la communauté de Bachar el-Assad, et les chrétiens craignent de ne pas être intégrés dans un État dirigé par l’opposition sunnite. Ils ont peur des éventuelles épurations ethniques. Il y a un risque de représailles contre ceux qui ont soutenu le régime » explique Julien.

Chrétiens, sunnites, chiites, alaouites ou encore kurdes, les communautés sont nombreuses. Mis à part les Kurdes, chaque communauté se reconnaît dans une croyance religieuse. Actuellement, aucune force politique n’est capable de représenter l’ensemble des communautés. « Le Conseil National Syrien, censé être une autorité politique de transition, ne représente pas le peuple. Ce sont des politiciens cultivés mais divisés. Ils sont incapables de se mettre d’accord sur les politiques à adopter », s’agace Mohammad.

Si le régime de Bachar el-Assad tombe, des élections seront très certainement organisées. Ce sera alors au peuple syrien de choisir.

Le traitement médiatique français

Dans les médias français, chaque jour, l’annonce de nouvelles victimes laisse la place à de mauvaises nouvelles sur le plan international. Mais les étudiants de la communauté syrienne de Toulouse reviennent sur les faits et les temporisent. L’erreur la plus criante selon Julien, est « d’avoir voulu calquer le modèle libyen sur le modèle syrien pour permettre une cohérence des lignes éditoriales, alors que ces deux pays n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre ». Surtout pour ce spécialiste de la Syrie, « la France a choisi de soutenir une position, que les médias ont suivie en occultant une réalité de terrain: il y a des violences des deux côtés, et l’opposition n’est pas toujours cohérente ». S’il reconnaît qu’il n’est pas toujours facile pour les médias occidentaux d’avoir accès à des sources sur le terrain, le raccourci n’est pas pardonnable, car avant la mort de plusieurs journalistes à Homs et le rapatriement difficile d’Edith Bouvier et Paul Conroy, les journalistes occidentaux étaient encore nombreux dans le pays.

Agir depuis la France

Pour soutenir la révolution du peuple syrien, de nombreuses associations ont été créées en France. Mohammad fait partie de la Coordination des Syriens de Toulouse. Face aux violences de l’armée syrienne, il refuse de rester passif. « Je suis impliqué à 100% contre le régime. Nous organisons des événements et des manifestations de soutien à la révolution syrienne. Nous sommes surveillés et on le sait. Mais on ne peut pas se permettre d’avoir peur. En Syrie, des milliers de gens se font massacrer. On doit agir ».

Sarah condamne les violences en Syrie mais ne souhaite pas se rapprocher de ces associations. « J’ai pris contact avec elles, mais plusieurs choses me dérangent. Je ne suis pas d’accord avec l’utilisation d’un nouveau drapeau. Je trouve que cela va à l’encontre de l’histoire syrienne. Je pense également que les associations mettent trop en avant les différentes communautés et c’est dangereux. Le peuple syrien est uni et indivisible. C’est important d’être solidaire, surtout en ce moment ».

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** Pour préserver l’anonymat des étudiants, les prénoms ont été modifiés.