A l’occasion d’un cycle consacré à l’ivresse du pouvoir, le Théâtre National de Toulouse (TNT) donne des représentations de grands classiques. Entre autres chefs d’oeuvre comme «Othello», «Roméo et Juliette», «Les Bonnes», ou encore «Les Nègres», l’éternelle et indémodable tragédie de William Shakespeare, «Macbeth», est à l’affiche actuellement. Mise en scène par Laurent Pelly, co-directeur du TNT, la pièce se jouera chaque soir du 29 février au 24 mars. Retour donc sur ce petit bijou de la scène dramatique.
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Laurent Pelly, connu pour son goût des décors atypiques, signe avec Macbeth, une performance scénographique impressionnante. Dès le premier acte, un curieux château d’un blanc immaculé (le domicile des Macbeth) occupe la totalité de l’espace. Plus tard, l’usage récurrent des murs (ceux du défunt roi Duncan), des remparts, comme mécanismes de transition, s’avérera particulièrement efficace: au cœur de cet espace scénique labyrinthique, les personnages barricadés dans leur propre folie, tiennent tête à ce dédale de couloirs sans fin, dans lequel, -on le sait déjà-, ils courent inévitablement à leur perte.
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Plus étonnant encore: l’esthétique de l’ensemble n’est pas sans rappeler le travail du célèbre peintre new-yorkais, Edward Hopper. L’architecture du château des Macbeth évoque House by railroad. Mais surtout, la scène incroyable qui se joue dans la chambre royale semble tout droit sortie de Morning Sun, tant l’agencement de l’espace, l’usage de la lumière et l’expression de l’actrice sont comparables à la toile.
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De cette similitude, émane une atmosphère bien particulière. Outre la noirceur propre à la pièce, Hopper et Pelly ont ceci de commun que leur composition est empreinte de mélancolie. Les personnages souvent isolés, affrontent sous une lumière drue la réalité sans détours des choses et des sentiments. Un naturalisme dramatique au possible qui rend l’intrigue d’autant plus sensible.
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Cinéphiles, à vos marques

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Mais le génie de Laurent Pelly ne s’arrête pas là. A l’instar d’Orson Welles et de Roman Polanski, le metteur en scène réussit à faire de Macbeth un petit bijou du cinéma français. Si ce n’est que cette fois-ci, le cinéma s’invite sur scène. Cette prouesse rendue possible par un décor extrêmement malléable donne lieu à une kyrielle de plans et de cadrages particulièrement bien pensés.
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Plusieurs plans larges consécutifs donnent à voir objectivement les faits, mais au fur et à mesure que l’intrigue se noue, les plans rapprochés se multiplient et le metteur en scène semble inviter un public en haleine à entrer dans le château du couple assassin. La technique du travelling est d’ailleurs réutilisée à merveille lors de cette scène quasi-finale qui signe la mort de Macbeth, donnant tour à tour la parole aux armées anglaises et à un roi abandonné. Les jeux d’ombre et de lumière enfin, ainsi que la bande-son obsédante et magnifique d’Aline Loustalot, participent de cet univers cinématographique, qui du début à la fin, nourrit l’intrigue.
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A l’épreuve du temps
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On se rend rapidement compte que le metteur en scène n’a pas appréhendé le texte shakespearien avec un souci de conformité, et pour cause. Outre quelques clins d’oeil à l’époque contemporaine (appareil-photo ou lampe-torche), la pièce évolue volontairement hors du temps. Des costumes sobres, communs à l’ensemble des proches du roi, un décor épuré et le refus de recourir à des codes historiques et géographiques précis, témoignent de la volonté du metteur en scène de jouer d’une atemporalité assumée.
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Cette pièce finalement sans identité propre, est dès lors une tragédie universelle: celle de l’humanité toute entière. Et c’est précisément le but poursuivi par Pelly: entre ses mains, Macbeth devient prétexte à un discours d’une envergure plus large, revendiqué par le directeur du TNT lui-même. Bien au-delà du personnage de Macbeth, le pouvoir fantasmé par l’homme est en fait l’acteur principal de la tragédie. Mais ce pouvoir est bifrons, car, invincible, irréductible, presque surnaturel, il broye l’Homme. 
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Laurent Pelly opère donc une lecture ciblée de l’oeuvre : pour lui chez Shakespeare, comme chez les dramaturges de l’Athènes classique, les dieux n’épargnent pas nos acteurs. Aussi, les soeurs du destin, apparitions surnaturelles et hermaphrodites qui accueillent dès le début de la pièce un public hagard, donnent le mot : Il ne s’agira pas de représenter avec réalisme un homme coupable, mais plutôt une victime de la puissance foudroyante et destructrice du Pouvoir.
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Immersion dans la psychologie humaine

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C’est avec un plaisir presque pervers qu’on observe les deux assassins se débattre dans cet imbroglio mental. Thierry Hancisse, sublime dans son interprétation de Macbeth, incarne ainsi à merveille la schizophrénie de ce personnage presque imbécile, dont la main a tué mais qui n’a pas la force psychologique d’assumer le crime dont il est l’ouvrier. Il est un Macbeth parfait, ce roi qui ne veut plus l’être dès l’instant où il le devient.
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Le véritable maître dans l’histoire est en réalité l’épouse de Macbeth. Marie-Sophie Ferdane interprète ainsi à merveille cette Agrippine moderne. L’actrice à la voix rauque et à la morphologie androgyne est habitée d’une noirceur et d’une folie à couper le souffle et nous immerge douloureusement dans la complexité de l’âme humaine. De la soumission au crime, puis entre culpabilité et désir de domination, il n’y a qu’un pas.
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Une tragi-comédie
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Aussi on regretterait presque cette fin trop pudique qui empêche l’exultation, la libération finale : pas de sang, pas de résistance, simplement la tête coupée de Macbeth qui fait face au public. La pièce se termine.
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On saisit ainsi lors du final, que l’objectif du metteur en scène n’est pas d’alimenter le déchaînement de la tragédie, mais de faire montre de l’absurdité de cette dernière. Et c’est la raison pour laquelle en dépit de la pesanteur générale, on rit. La mise en scène revendiquée par Pelly comme ubuesque atteint ainsi son but: ces personnages aux ambitions trop considérables sont moqués.
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Véritable génie artistique que de faire rire le public de lui-même… !