Les facs toulousaines sont en proie à une vive agitation à l’approche du dépôt de dossier Idex 2. qui pourrait faire pleuvoir 1,2 milliards d’euros sur la recherche régionale. Alors que les cercles décisionnels entretiennent le flou sur son contenu, les chercheurs toulousains sont partagés entre quête de financements vitaux et critique d’une vision élitiste de l’université. Revue des interrogations et points de discorde.

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Univers-Cités présentait récemment les « Initiatives d’Excellence » (Idex), programme phare des Investissements d’Avenir, qui met en compétition les sites universitaires pour l’obtention d’une partie des 7,7 milliards d’euros en jeu et du prestigieux label Idex. Lors de la première vague de sélection en juillet, le projet porté par le Pôle d’Enseignement Supérieur et de Recherche (PRES) Midi-Pyrénées avait été recalé. Depuis, les tractations autour du projet Idex 2 s’enchaînent dans une atmosphère de quasi-secret, dans l’attente du dépôt définitif du dossier le 8 décembre.

La compétition à toutes les échelles

La manière dont le site répartirait la manne est peu claire, mais une chose est sûre: tous n’en profiteront pas à la même hauteur. « Par définition, les Idex extraient seulement les meilleures parties des labos, avec le risque de laisser tomber le reste », explique Nicolas Valdeyron, enseignant-chercheur en archéologie et directeur adjoint d’une unité de recherche mixte Université du Mirail (UTM)-CNRS. La compétition entre les régions se répercute à l’intérieur même des sites.

Les financements seront ciblés depuis en haut. Le «Conseil de l’Idex », bien que ramené sous la gouvernance du PRES (renommé Université de Toulouse-UT) par rapport au premier dossier, aurait la mainmise sur la sélection des projets d’excellence, auxquels il destine 80% des fonds. Chaque université cherche donc à inclure ses domaines dans le périmètre d’excellence. « Si on propose un projet très égalitaire, il sera immédiatement refusé », prédit Nicolas Valdeyron.

Marie-France Barthet, vice-présidente du PRES, le reconnaît : les intérêts de l’Idex, 30 millions d’euros, représentent à peine 3% du budget régional annuel. Plus que de l’aspect financier, c’est de l’équilibre entre institutions qu’il s’agit.

« L’Idex postule que la recherche est meilleure quand on paye plus »

Pour la vice-présidente du PRES, l’appel à projet permet « d’amener les établissements à un regroupement, nécessaire dans une compétition internationale accrue ». Toulouse obtiendrait ainsi une visibilité « depuis Shanghai », lieu d’origine de la grille de classement des pôles d’enseignements supérieur et de recherche (ESR) dans le monde, critiquée pour un primat accordé aux gros sites et aux « stars de la recherche ».

Un bénéfice pour quelques « happy fews », critique Bruno Chaudret, du laboratoire de nanosciences de Paul-Sabatier (UPS) et directeur scientifique au CNRS : « L’Idex ne représente pas énormément d’argent, n’apporte pas de vraie politique industrielle. Les fonds vont aller à quelques chaires d’excellence, avec le postulat que la recherche est meilleure quand on paye plus ». Une politique à même de « développer l’attractivité, grâce à des chercheurs publiant dans les meilleures revues », contredit Christian Gollier, directeur d’études à la Toulouse School of Economics (TSE). Qui cherche-t-on à attirer? « Des étudiants étrangers qu’on va faire payer un maximum », affirme Bruno Chaudret. Une stratégie qui impliquerait une hausse des frais d’inscription, sur le modèle britannique. « Des fantasmes », rétorque Christian Gollier.

« L’Idex permettrait de développer de nouvelles coopérations ou de financer des équipements spécifiques », avance Marie-Christine Jaillet, vice-présidente du Conseil scientifique à l’UTM. Dans un contexte de baisse des crédits récurrents, les chercheurs y ont été sensibles, expliquant que beaucoup aient « joué le jeu ».

« Reniement » ou « saine concurrence » ?

« On ne pouvait pas rester hors-jeu, le projet aurait quand même eu lieu. On a essayé de faire en sorte qu’aucune discipline ne soit marginalisée », justifie Marie-Christine Jaillet. Bruno Chaudret est amer : « L’Idex a forcé la communauté scientifique à se renier, et a soumis le CNRS ».

A l’opposé, Christian Gollier fustige « une peur de se plonger sur le long terme » pour expliquer la défiance de certains chercheurs. « Il me paraît sain d’instaurer une concurrence pour déterminer qui mérite d’être de rang mondial », ajoute-t-il.

Au niveau politique, la pression d’une partie des chercheurs a vaincu les réticences que pouvaient avoir les acteurs locaux. Seule la région Ile-de-France a refusé le principe des Investissements d’avenir. « Pierre Cohen [maire de Toulouse, ndlr] et la présidence de région ont été contraints de soutenir des projets, car c’est une question de survie pour les chercheurs » a déclaré Bertrand Monthubert, secrétaire national du Parti Socialiste en charge de l’ESR, lors d’une réunion publique.

Des orientations imposées par le haut

Encore taboue il y a quelques semaines, la fusion des entités au sein de l’UT est désormais envisagée, face au modèle fédéraliste défendu par les présidents de l’UT1 et de l’UPS. Nicolas Valdeyron évoque « des consignes précises données par le ministère au jury accordant une nette prime à la fusion ». Problème : la gouvernance d’un site unique de 100 000 étudiants apparaît impossible. Un certain degré de subsidiarité serait introduit entre l’UT et différents « collèges » composés des entités existantes ou d’autres sous-ensembles.

Quant à l’option fédérale, elle maintiendrait les établissements actuels, avec une dévolution de compétences à l’entité supérieure. Aux dernières nouvelles, les écoles d’ingénieurs de la région seraient rassemblées au sein d’une UT4, « Toulouse-Tech ».

Ce débat cache celui de la démocratie universitaire. « Quelle que soit la forme, les cercles de décision de l’Idex échapperont aux usagers et à ceux qui s’en occupent», avertit Nicolas Valdeyron. Le Conseil de l’Idex, composée en majorité de chercheurs sélectionnés pour leur renommée, est appelé à devenir un organe central. D’où un double risque, selon l’archéologue: « une perte de pouvoir des conseils d’établissements, et une disparition de disciplines au profit de quelques champs porteurs».

Seules quelques universités avec un cycle complet ?

« Sortons de ce mirage français qui laisserait croire que nous avons 86 universités de rang mondial ! », s’indigne Christian Gollier. « Il y a de la place pour tout le monde, mais il faut que chacun contribue en fonction de ses avantages comparatifs ». Pour Nicolas Valdeyron, cela revient à laisser la recherche aux meilleurs et l’enseignement aux moins bons. « Je n’ai rien contre le principe, mais les disciplines avec moins de retombés économiques risquent d’être pénalisées. On demandera à ces chercheurs d’assurer une formation de plus en plus générale, comme on le voit actuellement en licence ».

Certains entrevoient la carte universitaire de demain : d’un côté de grands pôles internationaux avec des spécialités de pointe et de l’autre des universités marginalisées n’ayant pas le cycle LMD complet. Dans quel camp sera placée Toulouse ? Réponse avec la sélection finale des Idex en février 2012