Ce mercredi 17 janvier, les affaires s’enchaînent sans répit dans la salle d’audience dédiée aux comparutions immédiates du Palais de justice de Toulouse. Vol aggravé, refus d’obtempérer, violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. En filigrane, des itinéraires de vie se dessinent.

« C’est au tour d’Igor Machin chose. »  clame le magistrat du haut de son estrade. Avant d’ajouter, l’air amusé : « Encore un nom étranger imprononçable, c’est ce qu’on appelle la mondialisation. » Il est 14h30 au Palais de justice de Toulouse et les bancs de la salle d’audience sont tous occupés. Aux élèves d’une classe de lycée venus assister aux audiences de l’après-midi se mêlent les proches des prévenus qui comparaissent devant le juge au fil de la journée. Le père d’Igor, lui, est installé aux côtés de son fils dans le box des accusés. Tous deux sont jugés pour un cambriolage commis l’avant veille à Balma, dans la banlieue-est de Toulouse. Quelques billets ont été dérobés. Un coffre fort, qui n’a pas pu être ouvert, a été laissé dans le jardin de la propriété. 

« Si les deux prévenus se nommaient Paul Durand et Pierre Morel » 

Igor, s’exprimant en serbe, déverse un flot de paroles ininterrompu. « Lui et son père sont venus en France pour trouver du travail » synthétise sa traductrice. Igor a 22 ans et s’est installé en France il y a quelques années avec sa femme et ses deux enfants. « Bon, d’autres éléments à connaître sur ces deux messieurs ? »  questionne le magistrat. Le père d’Igor, d’une voix moins assurée que son fils, explique souffrir d’une pancréatite aiguë. « On en meurt ça non ? Il est malade mais ça ne l’empêche apparemment pas de voler » conclut le juge en replaçant ses lunettes sur son nez.

La procureure générale se lève et entame avec fermeté ses réquisitions. Elle réclame pour les deux hommes la peine d’un an de prison avec sursis, le port d’un bracelet électronique et l’interdiction de passage en Haute-Garonne pour une durée de 5 ans. La partie civile de son côté réclame 700 euros de dédommagements pour ses clients, victimes du cambriolage. « Les atteintes sont matérielles mais aussi psychologiques »  explique l’avocat du couple « le viol d’intimité entraîne un sentiment durable d’insécurité chez les personnes qui en sont victimes. » 

C’est au tour de l’avocat de la défense de s’avancer à la barre. « Si les deux prévenus se nommaient Paul Durand et Pierre Morel, peut-être la peine requise aurait été moins lourde. » Un silence s’empare de la salle. Le magistrat se redresse sur son siège et prononce d’un ton bas : « Derrière vos propos, j’entends quelque chose qui ne me plaît pas. »  Il somme l’avocat de ne « jamais remettre en question l’impartialité d’un tribunal » avant de le laisser reprendre sa plaidoirie. 

Après délibération, le magistrat et les juges assesseurs retiennent la peine proposée par la procureure générale : un an de prison avec sursis pour Igor et son père, qui quittent la salle d’audience encadrés par trois policiers. Rapidement, le prochain prévenu entre dans le box des accusés. Le fil des histoires reprend et les plaisanteries du magistrat ne tarissent pas. 

Vol de clémentines et outrage à agent

Le 14 janvier, Luiz se promène dans les rayons d’un Carrefour City en mangeant une banane qu’il n’a pas encore payé. A sa sortie du magasin, les vigiles trouvent dans son sac un pot de crème hydratante, un peigne et quelques clémentines. Des gendarmes, prévenus du vol, interviennent et sont contraints d’amener le jeune Espagnol au poste car celui-ci n’est pas en mesure de présenter une carte d’identité. Luiz se débat et blesse l’un des gendarmes d’une fracture à la côte. Une blessure qui cause une incapacité de travail d’une durée de 3 jours. Et qui mène Luiz à comparaître devant ce tribunal pour outrage à l’égard d’une personne dépositaire de l’autorité publique. 

Par l’intermédiaire de sa traductrice, Luiz explique : « J’étais immobilisé par terre, leurs pieds étaient sur mon torse et au niveau de ma gorge et je n’arrivais pas à respirer. »  Il poursuit « J’ai pris peur. Ma femme est enceinte de 7 mois et m’attend à Madrid. Je ne veux pas aller en prison. »  Le juge argue : « Rien ne prouve que vous avez une femme, ni qu’elle est enceinte ». Luiz est de nationalité algérienne et vit en Espagne. Il travaille comme maçon « pour nourrir sa famille », mais aimerait reprendre ses études. « S’il veut s’inscrire à la fac, il s’inscrira à Alger »  raille le magistrat. L’interprète de Luiz ne traduit pas au jeune homme cette dernière phrase.

« C’est insupportable »  tonne la procureure générale qui commence son réquisitoire, « de voir des individus se rebeller et mettre cela sur le dos des violences policières alors qu’ils sont en tort. » Les juges se lèvent pour délibérer. Le verdict rendu sera le même que celui proposé par la procureure : un an de prison ferme et l’interdiction du territoire français pendant 5 ans. Dans le bruit des gens qui se lèvent et sortent de la salle, une jeune femme déplore : « Ça sent un peu le racisme ici. »