Week-end chargé en émotions à Toulouse où se sont multipliées les commémorations en souvenir des attentats de 2012. Dix ans après l’assassinat de cinq juifs dont deux enfants à Toulouse et Montauban, il s’agissait d’avoir une attention particulière pour les victimes. Dans un climat de résurgence de l’antisémitisme, c’est à une bataille des mémoires qu’on assiste avec ces commémorations. 

Samedi matin, entre 150 et 200 personnes se sont réunies square Charles De Gaulle suite à l’appel de nombreux syndicats et organisations politiques de gauche pour commémorer les attentats antisémites en marge des cérémonies officielles. Le discours donné par Marie-Cécile Périllat , secrétaire générale du FSU 31, au nom du collectif donne le ton. «La grammaire antisémite est universelle», affirme-t-elle. Elle évoque avec douleur les crimes djihadistes bien sûr, mais rappelle aussi l’apparition de rhétorique antisémite dans les mouvements antivax et le négationnisme de certains candidats à l’élection présidentielle.

Dénonciation d’un antisémitisme d’État

Elle achève le crescendo en dénonçant la réhabilitation de la mémoire des plus grands criminels antisémites français par Emmanuel Macron et certains de ses ministres :«Sous prétexte de favoriser la cohésion nationale, ils portent aux nues l’empereur Napoléon Ier et le maréchal Pétain, c’est criminel.» Effectivement, le président a salué en 2018 la mémoire du vainqueur de Verdun en évacuant d’une phrase les «choix funestes de 1940.» Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, affirmait quant à lui s’inspirer de la politique de gestion de la communauté juive par Napoléon pour lutter contre le «séparatisme islamiste».

«C’est vraiment un retour en arrière de la mémoire officielle sur le plan historiographique», estime Marie-Cécile. «Depuis la diffusion des thèses de Robert Paxton dans les années 70, le gouvernement avait fait un gros travail pour reconnaître les crimes de la France de Vichy. Aujourd’hui, on entend de plus en plus la fable selon laquelle Vichy aurait protégé les juifs de France.»

Dans la foule, Jean-Marc, juif athée d’une soixantaine d’années, regrette la posture prise par les organisateurs de la cérémonie officielle. «La commémoration officielle est trop souvent instrumentalisée pour justifier une posture hostile de certains représentants politiques à la communauté musulmane, mais aussi comme soutien à l’État d’Israël, qui y envoie systématiquement un représentant. Or, l’État israélien est le promoteur d’une politique impérialiste condamnée par l’ONU

« Aujourd’hui, c’est l’Islam radical qui fait des morts »

Comme en réponse à ce discours, un dépôt de gerbe est organisé par la mairie une vingtaine de minutes après. Le discours du maire, Jean-Luc Moudenc frappe par la divergence de la conclusion. Ainsi, là où la syndicaliste appelait avec les mots de Franz Fanon à la solidarité du mouvement antiraciste, Jean-Luc Moudenc invite à agir avec fermeté. «Malheureusement l’antisémitisme et toujours là, le djihadisme est toujours là.» Pas un mot sur l’extrême-droite. «À l’heure d’aujourd’hui, c’est l’Islam radical qui fait des morts», répond un adjoint à la mairie. Les musulmans français apprécieront la finesse politique.

Le lendemain une série d’hommages est tenue avec les présidents français et israélien et le président du Crif Midi-Pyrénées. Les témoignages des amis et camarades d’école résonnent avec une émotion authentique à l’école Ozhar Torah, puis à la halle au grain. Des musiciens les accompagnent avec talent et beaucoup de douceur.

Les discours des responsables politiques apportent des éléments sensiblement différents. L’introduction donnée par le président du Crif frappe par sa posture droitière. Sa condamnation des attentats antisémites est marquée par la mobilisation d’un lexique guerrier de lutte contre le mal absolu. «Si nous perdons, il n’y aura que les ténèbres.» Il lance ensuite une série d’attaques contre l’extrême gauche, un camp politique qu’il désaffectionne particulièrement. Pour lui, la posture scientifique des universitaires est un «refus du réel » par « excès de contextualisation.» Il dénonce le «basculement de la délinquance ordinaire dans le terrorisme.»

Enfin, il condamne avec la plus grande fermeté l’opposition à l’État d’Israël qu’il renvoie dos à dos avec la haine des juifs. «Cherchez l’antisionisme, vous trouverez l’antisémitisme.» Deux phrases plus loin, il insinue de nouveau la proximité entre l’extrême droite antisémite et la gauche antisioniste : «l’extrême droite veut proposer un gouvernement de fracture, rejoignant en cela le rêve de grand soir communautariste». On en oublierait presque que ce discours avait une ambition commémorative.

Une union nationale oui, mais pour qui ?

Les hommages prononcés ensuite par le président Isaac Herzog et le président Emmanuel Macron adoptent un ton étonnamment plus nuancé, même s’ils rejoignent le président du Crif sur la posture. Le chef de l’État français commence par un appel ému à l’union nationale en remerciant ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy de leur présence, puis il opère le même glissement entre antisionisme et terrorisme. «La France et Israël, Israël et la France, sont ensemble déterminés à vaincre le terrorisme sous toutes ses formes et sur tous les fronts pour anéantir l’antisémitisme, y compris celui qui se cache sous le masque de l’antisionisme.»

Voilà qui pose question sur la nature de l’union nationale qu’il promeut. Peut-être une union allant du centre-gauche de Hollande à la droite dure de Sarkozy. Une alliance des partis de gouvernement, une alliance des citoyens rationnels et avisés face à la folie d’un peuple extrémiste et plein de rancœur.

Une alliance très politique donc, qui s’appuie sans complexe sur la mémoire des morts pour réaliser ses objectifs. Dix ans après les attentats, le souvenir des victimes est déchiré par les fractures.

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Malo Toquet