« Une crise sanitaire peut exacerber les violences sexistes et sexuelles ou conjugales. » Ce message du secrétariat d’Etat chargé de l’égalité hommes femmes, publié le 16 mars sur Twitter, interroge sur la prise en charge des victimes pendant l’Etat d’urgence sanitaire.

La mise en garde du gouvernement a déjà été appuyée par les effets du confinement en Chine. Le média Sixth Tone a publié, au début du mois de mars, un article sur l’explosion des violences domestiques liée au confinement. On y apprend qu’un commissariat de la province de Hubei a reçu trois fois plus d’appels liés à des violences domestiques qu’à la même période l’année précédente. Selon une ONG locale qui lutte contre les violences conjugales, les cas rapportés de telles violences auraient doublé pendant le confinement. Selon les chiffres de cette ONG, 90% des causes de la violence, comme la peur, l’anxiété ou les difficultés économiques, sont liées à l’épidémie. D’autant que les dispositifs d’aide aux victimes ont été affaiblis.

Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat égalité femmes hommes, a publié le 26 mars une vidéo présentant les dispositifs mis en place par le gouvernement pour lutter contre les violences domestiques.

Mais l’état d’urgence sanitaire est-il compatible avec la prise en charge des victimes, alors même qu’elles sont plus exposées ?

Les centres d’hébergement en service minimum

A Toulouse, deux des trois centres d’hébergement pour les femmes victimes de violences conjugales fonctionnent en service minimum. L’un d’entre-eux ne reçoit même plus les appels. Un répondeur indique que les instructions du gouvernement vis-à-vis du coronavirus impose ce fonctionnement à minima. La messagerie explique également que le confinement interdit les entrées et sorties jusqu’à nouvel ordre, et conseille d’appeler les numéros d’urgence.

Le site arretonslesviolences.gouv.fr

La Maison des allées Pont Vieux étant un service public, le fonctionnement en service minimum n’est pas requis. Le centre, qui offre un accompagnement social en plus de l’hébergement d’urgence, est ouvert 24h/24.  Mais l’hébergement est complet. Et le confinement ne permettant pas les sorties, il leur est pour l’instant impossible d’accueillir de nouvelles victimes. Le centre d’hébergement explique qu’il y a bien un risque plus élevé de violences, mais que le gouvernement n’a pas mis en place de mesures particulières à ce sujet, ni fait passer de circulaire apportant des consignes spécifiques.

De nouveaux obstacles à la prise en charge

Anaïs Délaissez-Boyer, sexothérapeute spécialisée dans l’accompagnement de femmes victimes de violences, et militante à Nous toutes 31, reçoit gratuitement les appels d’urgence depuis le début du confinement. « J’en reçois deux ou trois par semaine. Avant le confinement je n’en avais aucun. D’habitude je fais surtout du suivi pour les femmes qui sont dans des relations abusives ou pour les couples en difficulté. » Elle observe également une aggravation de la situation chez les couples et les femmes qu’elle suit régulièrement. « Et ça c’est pour ceux qui poursuivent les consultations par téléphone, je ne sais pas quelle est la situation de toutes mes patientes. »

Le covid-19 crée aussi de nouveaux obstacles à la prise en charge. La thérapeute raconte le cas d’une femme agressée violemment par son conjoint et qui avait besoin de points de suture. « J’ai dû la convaincre d’aller aux urgences car elle avait peur à cause du coronavirus. »

« Appeler les secours, ça peut sauver des vies »

Dans ce contexte particulier Anaïs Délaissez-Boyer ne conçoit pas de « solution miracle » pour aider les victimes . Elle explique comment chacun peut quand même agir. « Il faut être attentif à ce qu’il se passe chez les voisins. Un cri, un bruit fort, ce n’est pas normal. Appeler les secours, ça peut sauver des vies. »

Pour la thérapeute, il pourrait aussi être judicieux d’ouvrir des hôtels pour accueillir les femmes fuyant les violences domestiques. « Mais comment s’assurer qu’elles y seront en sécurité ? »

Le collectif féministe Nous toutes a publié ce 26 mars une pétition réclamant un plan d’urgence pour faire face à l’augmentation des violences.

Une aggravation mais pas de nouveauté

Le confinement lié au covid-19 est un facteur aggravant mais révélateur du problème des violences conjugales en France. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, chaque année 219 000 personnes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.

« Il faut prendre en charge, quelque soit le contexte et les facteurs aggravants. »

Anaïs Délaissez-Boyer regrette que les autorités ne prennent pas toujours les plaintes au sérieux. « Souvent la violence apparaît dans le cadre de consommation d’alcool ou de stupéfiants. Alors les gendarmes refusent de prendre les plaintes. » La thérapeute explique que ce manque de prise au sérieux est une des principales raisons qui conduit les femmes à ne pas demander d’aide. « Il faut prendre en charge, quel que soit le contexte et les facteurs aggravants. »

Selon elle, les pouvoirs publics ne sont pas assez réactifs. « Les délais sont trop longs et il y a un manque de moyens économiques et humains. » Elle félicite tout de même des avancées en la matière. Notamment la CELVIC (Cellule de lutte contre les violences conjugales), une expérimentation unique en France mise en place en janvier 2020 et dédiée à la gestion des cas de violences domestiques. « Ça a le mérite d’avancer dans le bon sens, mais c’est encore insuffisant. »