À deux semaines de la Saint-Valentin, l’antenne toulousaine de la brigade antisexiste reprend de l’activité. Objectif : épingler les affiches publicitaires sexistes de la ville rose.

Samedi soir, 21 heures, place St-Pierre. Une quinzaine de personnes en cercle, au milieu de cet endroit prisé par les étudiants toulousains. Petit tour des prénoms, distribution de foulards rouges, deux trois indications sur l’action de la soirée, et un code « Brigitte est là », à prononcer si la police est dans les parages. La brigade antisexiste peut commencer sa promenade dans la ville.

Pour la quatorzième fois en deux ans, l’antenne toulousaine de la brigade antisexiste se réunit pour épingler publicités et affiches sexistes. Avec, à deux semaines du 14 février, la Saint-Valentin en ligne de mire. « C’est une fête qui est très genrée, commerciale et pendant laquelle les enseignes mettent principalement en avant les couples hétérosexuels », explique Jeanne*, l’une des organisatrices.

Premier arrêt du groupe devant un salon de coiffure, rue Pargaminières. « Il y a une différence de tarifs inexpliquée entre les coupes femmes et hommes, et la mannequin paraît très jeune… » se lance Louise*, une deuxième organisatrice. « Et puis c’est pas naturel, il y a du Photoshop ça se voit » ajoute Marie* l’une des nouvelles de la brigade.

Armées de marqueurs rouges et jaunes, d’autocollants « SEXISTE », de leur regard critique et de leur imagination, elles n’hésitent pas à taguer ces vitrines problématiques. « Taxe rose » et « Photoshop » pour le coiffeur, « la cellulite c’est la vie » pour un salon de palper-rouler deux rues plus loin.

La publicité : « un outil du capitalisme »

Observer la devanture du commerçant, commenter les publicités affichées, et puis trouver un moyen d’en faire comprendre le sexisme. C’est de cette manière que procède la brigade durant cette promenade nocturne.

Pour Mathilde*, le problème ne vient pas seulement des publicités sexistes. Cette chercheuse de 27 ans en océanographie spatiale fait partie de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire qui lutte contre toutes les formes de publicité : « c’est un outil du capitalisme qui pousse à la consommation et véhicule des idées souvent sexistes et racistes. Elle impose une vision du monde et participe à la privatisation de l’espace public ».

Comme elle, certaines participantes aux brigades sont des féministes engagées. Pour d’autres, l’événement est une première. « La plupart des personnes qui nous contactent sont des femmes, souvent de moins de 30 ans mais ça nous arrive aussi de rencontrer des personnes plus âgées. Et certaines sont présentes à toutes les brigades » se réjouit Jeanne.

Si les organisatrices n’ont jamais eu affaire à des personnes mal intentionnées, c’est aussi parce qu’elles n’affichent jamais le lieu de rendez-vous sur l’événement Facebook de la brigade. « On demande aux personnes intéressées de nous envoyer un message privé. Ça nous permet d’anticiper le nombre de personnes présentes, et ça décourage ceux qui voudraient venir pour nous embêter. Mais on ne filtre pas les personnes à qui on communique le lieu de rendez-vous, la plupart du temps on ne les connait pas. »

« Ils n’ont pas honte ? »

Dans la rue Alsace-Lorraine, des rires gênés s’élèvent parmi le groupe. La vitrine de la boutique du stade toulousain pose problème. La brigade n’hésite pas : « Supportrices, joueuses, arbitres, où sont les femmes ? » « SEXISTE ».

Saint-Valentin Sexiste

La brigade antisexiste tague les affiches sexistes de la Saint-Valentin / Crédit : Emilie Roussey

Plus loin, c’est la devanture d’Etam, qui provoque des réactions. La marque de lingerie féminine ne possède pas moins de quatre vitrines. De quoi faire pour la brigade. L’une des affiches présente une femme, mince, en sous-vêtements, accompagnée du hashtag « Feel free ». S’en est de trop pour le groupe. « Ils n’ont pas honte ? » écrivent-elles.

La vitrine d’à côté présente une autre mannequin avec le slogan « Pour la Saint-Valentin, je choisis mon cadeau ». « Porter ça n’est pas un cadeau », « un cadeau pour qui ? », les propositions fusent pour dénoncer cette photo. « Et puis faudrait dire à la mannequin de manger un cupcake, parce qu’on dirait qu’elle va s’évanouir » finit par dire l’une des participantes sur son vélo.

Une action qui dure 24h

Certains passants s’arrêtent pour regarder avec curiosité les brigadières à l’œuvre et parfois les questionnent. « Le fait qu’il y ait du monde dans la rue n’est pas gênant, souvent les gens discutent, on n’a jamais eu de problème. Si on le faisait vers quatre heures du matin ce serait moins discret et on serait moins à l’aise » explique Louise.

Et faire cette action un samedi soir n’est pas un hasard : « le dimanche les vitrines ne sont pas systématiquement nettoyées, donc notre action peut avoir des effets pendant au moins 24h. On a déjà pensé à aller discuter directement avec les vendeurs, en pleine journée, mais c’est rarement eux qui gèrent l’affichage publicitaire, et puis ils nous empêcheraient sûrement de coller nos autocollants » explique l’organisatrice.

Publicité Dépil Tech (Photo Facebook/Brigade Antisexiste 2017)

Deux heures après le début de la marche, le groupe a perdu la moitié de ses membres. Mais Louise tient à marcher jusqu’au salon d’épilation définitive près d’Esquirol où la brigade a déjà épinglé des affiches lors de précédentes marches. Sur le chemin, la brigade s’arrête devant une banque, où l’autocollant « SEXISTE » déposé la dernière fois est toujours présent. Mais l’affiche sexiste est, elle aussi, toujours là. Le groupe en profite pour en remettre une couche. Au même moment, Jean-Luc Moudenc et son équipe de campagne passent derrière les brigadières. Le maire de la ville trace sa route, sans même essayer de lire ce qui est en train d’être écrit.

Quelques mètres plus loin, la brigade antisexiste découvre enfin la nouvelle affiche publicitaire de la boutique Depil Tech. Et contre toute attente, aucune des brigadières n’a de remarque à faire sur la boutique aux publicités souvent sexistes. Étonnées, leur parcours s’achève ici, avec un vague sentiment d’accomplissement et l’impression que leurs actions ont peut-être commencé à porter leurs fruits.

 

*Les prénoms ont été changés.