Le buzz est quelque peu retombé autour de la saisie spectaculaire des domaines et des serveurs de Megaupload, l’ex-numéro 1 du streaming de vidéos et de stockage en ligne.

L’événement, s’il en est, n’est pas une première, et les aficionados des derniers épisodes des séries UK et US en version originale sous-titrée semblent s’être déjà reportés sur les nombreuses alternatives à leur disposition. Le streaming ferait même un retour fracassant, de nouveaux sites ayant d’ores et déjà profité du vide laissé par la fermeture de Megaupload pour se développer.

On le sait, le téléchargement illégal est depuis longtemps une habitude chez nombre d’étudiants. C’est le cas d’Antoine, un gros consommateur de musique et de séries, qui ne loupe à peu près rien de ce qui sort outre-atlantique et outre-manche. Lui qui n’a jamais pu satisfaire son appétit légalement, explique, le sourire en coin, « s’il avait fallu que j’attende le bon vouloir des chaînes de télévision françaises pour regarder des séries, ou leur arrivée sur les sites de téléchargement légaux, je serais probablement sous surveillance psychiatrique H24 ».

Le jeu du chat et de la souris entre les majors et les internautes n’est pas une nouveauté non plus. Ce nerd assumé de 28 ans télécharge depuis qu’il est ado. Pour lui, impossible de parler de son penchant pour le téléchargement sans parler de la « génération Warez », comme il la définit ; celle qui a vécu à cette époque pas si lointaine où on ne parlait pas encore de «web» ou de «net» mais d’Internet (avec la majuscule), et encore, comme quelque-chose du futur, pas encore tout à fait à portée : « Vers le milieu des années 1990, le PC a remplacé le Minitel à la maison. Je me souvient du modem qui faisait du bruit lors de la connexion – je devais le déconnecter rapidement, pour éviter que les parents ne me crient dessus dès réception de la facture », se souvient-il.

Le son de connexion d’un modem 56K

La classe politique loue alorsunanimement la mise en place de ces «autoroutes de l’information», fascinée par la perspectives d’énormes retombées économiques qui seraient la conséquence de « l’élaboration socio-cognitive de la connaissance » comme le prédisaient divers travaux au début des années 90, mais sans forcément en comprendre tous les enjeux. On croit dur comme fer à un âge d’or à venir, porté par cette nouvelle révolution technologique.
« C’est aussi l’époque de la drague sur les chats d’MSN, de la musique sous CoolEdit, des écrans bleus à répétition… », plaisante Antoine.

Du peer to peer au streaming

Tout a évolué très vite : côté formats il y a l’invention du Mp3, issu du projet Digital Audio Broadcasting financé entre 1987 et 1994 par l’Union Européenne (!), et dans le même temps du DivX (format propriétaire) pour les vidéos. Ces deux innovations, qui font aujourd’hui figure de standards, ont divisé la taille des fichiers audio et vidéo par 10.

Côté infrastructure, Napster, le tout premier logiciel peer-to-peer change la donne en juin 1999 et connaît très rapidement un succès planétaire : télécharger de la musique devient simple et gratuit en dépit de la petite bande passante des connections de l’époque et des déconnexions intempestives. En face, il n’existe encore aucune alternative légale digne de ce nom. La violation de droits d’auteurs conduira à la fermeture du site en 2001.

La même année, Apple dévoile l’iPod et iTunes, première offre légale de téléchargement – c’est un succès commercial, mais le format propriétaire des fichiers achetés et la limitation de leur utilisation rend l’acte d’achat minoritaire en volume, comparé au téléchargement illégal.

Une vidéo humoristique sur les DRM, gestion des droits numériques (en anglais)

« Tuer la poule pour effrayer les singes »

Entre temps la bande passante a augmenté. C’est en ce début de millénaire que le partage en ligne explose, notamment grâce à eDonkey2000, qui deviendra deux ans plus tard eMule. Pour favoriser le développement du peer-to-peer, eMule va développer un système de crédits : il récompense les utilisateurs qui partagent beaucoup, leur permettant de télécharger plus rapidement.

L’autoroute de l’information commence à faire très peur aux Majors au fur et à mesure qu’ils engrangent de lourdes pertes – et ils tentent à leur tour de faire peur aux utilisateurs. Ainsi, en identifiant certaines IP particulièrement gourmandes en fichiers sur ce réseau (elles y étaient très facilement accessibles par les ayant-droits), les Majors portent plainte, et, « dès 2003 on voit des gamins se faire condamner aux Etats-Unis à de très lourdes peines », se souvient Antoine.

Un étudiant arrêté aux Etats-Unis pour téléchargement illégal (en anglais)

Mais la machine est lancée, et les offensives des Majors sont un fiasco. L’omniprésence des DRM dans l’offre légale, et le sentiment que l’on avait cherché à faire de quelques cas des exemples augmente le ressenti des utilisateurs envers ces mêmes Majors et conduit vraisemblablement beaucoup d’internautes à perdre tout scrupule à les contourner.

Mais tous ne sont pas prêts à être pris la main dans le sac. Avec la technologie Flash, la mise en ligne de vidéos et de musique devient techniquement plus aisée, permettant l’émergence des premiers sites de streaming. L’avantage : légalement, l’utilisateur visionne, mais ne télécharge pas. Son comportement n’est donc pas, a priori, pénalement répréhensible, dès lors qu’il ne partage pas lui-même des fichiers en ligne.

Bien sûr, on voit tout d’abord émerger Youtube et RadioBlogClub. Le premier aura une politique relativement souple en matière de copyright, limitant dès le début la mise en ligne de contenus à ceux dont la durée est inférieure à dix minutes, sauf pour les «contenus originaux». Le second s’appuiera sur des fichiers en accès libre sur divers serveurs, et permettra une intégration aisée sur les blogs personnels alors en pleine émergence. Il fermera ses portes dès 2004 pour violation de copyright.

L’offre de musique en streaming a peu à peu suivi son cours avec des alternatives légales d’abord gratuites puis recourant au « Freemium ». Mais la structure du marché des films et des séries étant bien différente du marché de la musique, deux structures se sont développées : la vidéo à la demande, légale mais payante, et le streaming illégal (du point de vue de l’hébergeur) gratuit mais avec restrictions – une offre premium est proposée pour s’en affranchir – avec des sites comme Megavideo, mais aussi Videozer, VideoBB, etc.

Devenu principal acteur du marché notamment grâce à une interface simple et des débits de connection supérieurs à la concurrence, Megavideo était pourtant loin d’être l’unique acteur du secteur ; Aussi sa disparition n’aura-t-elle que momentanément gêné ses utilisateurs (Lire l’article de notre dossier Megavideo est mort, vive le streaming !). La partie d’échecs ne fait que commencer…