Deux grands quotidiens nationaux disparus, des plans de licenciement se succédant dans les rédactions, des journalistes à la cote de confiance atteignant des profondeurs abyssales d’après le sondage annuel du quotidien « La Croix », des distributeurs à la santé économique chancelante, le tout sur fond d’indépendance questionnée et de soupçons de conflits d’intérêt : il est faible de dire que le champ médiatique va mal en 2012. Une situation qui rend d’autant plus nécessaire la tenue de la désormais grand-messe professionnelle que représentent les Assises internationales du journalisme et de l’information.

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Retour vers le futur

« Mieux vaut une presse sans institution démocratique solide, qu’un gouvernement stable sans sphère journalistique » aimait à dire Thomas Jefferson, l’un des fondateurs du pays à la bannière étoilée. Dès ses balbutiements dans le monde social donc, le système médiatique semble incarner l’un des promoteurs du débat dans l’espace public. Deux cents ans plus tard, même constat : lorsque la presse tousse, c’est le débat démocratique qui s’enrhume. Aujourd’hui, on frôle l’épidémie grippale. Face à un secteur à la santé moribonde, la rencontre entre les différents professionnels est devenue urgente.

Cadre de ce grand raout : la sixième édition des Assises à Poitiers. Mais loin de la sinistrose ambiante à laquelle on aurait pu s’attendre de la part des chevilles ouvrières de l’information, ces trois jours de débat ont été une véritable bouffée d’oxygène. Des projets ? Il y en a à foison. Des idées pour renouveler la pratique de la profession ? Elles ne manquent guère. Des débats ? Il n’y a qu’à voir le succès du live tweet. Des débouchés ? Internet vous tend les bras. Et tant pis au final si la presse papier paraît s’approcher lentement mais sûrement de sa date de péremption.

À Poitiers donc, la gueule de bois d’un rendez-vous manqué avec le progrès il y a plusieurs décennies, pour reprendre la pensée du sociologue Patrick Eveno, a laissé place à un discours optimiste. La presse est morte, vive la presse ! Car à la manière d’un Gramsci qui écrit : « La crise, c’est quand le vieux se meurt et le nouveau hésite à naître  », le landerneau médiatique a commencé sa mue et connaît ses premiers gémissements, notamment sur le web. C’est du moins le constat fait par les centaines de professionnels présents lors de ce rendez-vous annuel.

Formule gagnante

Lors de cette 6ème édition, près de 1 000 personnes (journalistes, pigistes, étudiants, patrons de presse, politiciens, juristes, représentants d’association et de la société civile) ont répondu à l’appel lancé. Un succès d’audience pour le président Jérôme Bouvier, qu’il impute en partie à la reconduction d’un programme n’ayant guère changé depuis ses débuts. Le matin, quatre ateliers sont animés par quelques experts du secteur triés sur le volet. L’occasion d’aborder en profondeur des thématiques dont la spécificité n’a d’égal bien souvent que leur complexité. Pêle-mêle : la nouvelle place des développeurs et designers dans les rédactions ; nouveaux médias : comment faire payer l’info ? ; quelle perspective pour l’info-mobile  ?… N’en jetez plus.

Bref, on parle data journalisme, on s’épanche sur le gonzo, on s’étripe sur la curation… Une mine d’or pour tout journaliste et apprenti désirant s’ancrer dans les nouvelles tendances qui agitent le microcosme médiatique. Quant aux acteurs extérieurs, mieux vaut qu’ils passent leur chemin. Ou qu’ils reviennent l’après-midi.

Finis les ateliers professionnels, place maintenant aux débats grand public et autres tables rondes. L’objectif ici est d’attirer experts et chalands et ainsi d’éclairer sous un jour nouveau les problématiques actuelles. Résultat, huit conférences autour de la thématique de l’indépendance, où ont été abordés tour-à-tour le destin de la presse féminine, le rôle de l’expert dans le débat public, la gangrène du conflit d’intérêt, ou encore la prochaine loi sur la protection des sources.

Difficile en 72 heures d’aborder l’ensemble des problématiques qui tiraillent la profession, mais les Assises ont quand même permis de brosser un large éventail des défis à relever.

Point d’orgue de cet événement annuel, la célébration des quarante ans de carrière au Monde du dessinateur Plantu. Deux heures durant, micro en main et devant une assistance garnie, la vedette d’un soir fait le show. Son show. D’anecdotes en blagues, de prises de position en moments émouvants, le journaliste du quotidien du soir semble comme un coq en pâte dans l’amphithéâtre. Esthète du saut d’obstacles, il s’essaye à l’art du dessin humoristique en live – et sur tablette ! – , avant, quelques minutes plus tard, de se faire le porte-parole de ses confrères travaillant dans des pays où la liberté de la presse n’est que chimère, puis de sombrer dans le solennel à travers ses clichés d’une esquisse commune entre lui, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. Quand la petite histoire de la vie de Plantu rencontre la grande… Le héros du soir avance : « Je suis un esprit libre ». Assurément le credo de ces Assises.