Qu’on les appelle thinks tank, brains box, laboratoires d’idées ou encore centres de réflexion, les instituts politiques pullulent dans l’espace public. Et depuis septembre 2012, Science-Po Toulouse n’échappe pas au phénomène, puisque l’institution accueille l’antenne locale de Terra Nova, la machine à pensée de la gauche française.

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Olivier Ferrand, le fondateur de Terra Nova, a de quoi avoir le sourire:  en seulement quatre années d’existence, la fondation progressiste est devenue le think tank le plus populaire, loin devant ses concurrents pourtant bien plus anciens (Fondation Saint-Simon ; Institut Jean Jaurès, La République des Idées, Fondapol, Institut Montaigne…). Pas une note, ni une étude produites par ce laboratoire d’idées qui n’échappe aujourd’hui à la lumière des projecteurs médiatiques. Que l’on songe au rapport « Gauche, quelle majorité électorale pour 2012  », pointant le divorce entre le PS et les classes populaires, ou encore à la publication appelant à un nouveau mode de scrutin, cet agitateur d’idées version club de pensée post-1789 définit bien souvent l’agenda partisan.

Un rôle désormais pivot dans le jeu politique qui n’est pas passé inaperçu pour une poignée d’étudiants de l’institution toulousaine bien décidés à « faire de la politique là où elle a déserté » d’après les propres termes d’Annaïk Lesbats. Comble d’un Institut d’Études Politiques visiblement désengagé.

Fidèle à sa politique de neutralité partisane, l’IEP de Toulouse s’est toujours refusée à accorder le statut d’association à des organisations militantes, quand ses alter ego de province multipliaient les actes de reconnaissance envers divers groupes politisés. Un impair qu’a tenu à corriger Raphaël Bonnier, l’un des artisans de la création de la branche toulousaine de Terra Nova : « Cela faisait quelque temps déjà que j’avais le projet avec plusieurs de mes camarades de mettre sur pied un think tank à l’IEP. Finalement, le projet ne s’est jamais réalisé, jusqu’au jour où, de passage à Sciences-Po Paris, j’ai assisté à une conférence organisée par l’aile jeune de Terra Nova présente rue Saint-Guillaume. C’est là que l’aventure a commencé. » L’étudiant en affaires publiques démarche Olivier Ferrand qui accepte son projet.

En terra incognita

« Il est faible de dire que l’administration nous a mis des bâtons dans les roues pour notre homologation. Il a fallu batailler, monter un dossier solide pour obtenir le statut d’association. Bref, un véritable parcours du combattant  » raconte, encore remonté, Alexis Bitaudeau, trésorier de la fondation. Passée sous les fourches caudines de l’administration, décidément tatillonne, et après avoir donné moult garanties quant au caractère non partisan de l’entreprise, l’association voit le jour.

Premier bilan après six mois d’existence : malgré un nombre d’adhérents qui peine à décoller, la fondation toulousaine nourrit d’importantes ambitions. « Sciences-Po Toulouse a été déserté par le débat politique. Avec ce club de réflexion, nous voulons réintroduire de la politique, favoriser le débat d’idées, développer des pistes de réflexion, promouvoir des solutions alternatives, bref être une véritable force de proposition » énumère Laura Bessières avec entrain.

Expliquer ainsi, on se dit qu’entre eux et une cellule jeune d’un parti politique, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Erreur ! Tous l’assurent et le répètent comme un gage de leur bonne foi intellectuelle et de leur liberté de pensée : « Nous ne sommes pas liés à un parti politique, ni inféodés à un candidat, c’est d’ailleurs ce qui fait la force de notre organisation et attire souvent les gens. On crée un espace où il est possible de penser au-delà des cases et doctrines partisanes », explique doctement le président de l’antenne locale de Terra Nova.

N’empêche, une partie conséquente des adhérents et/ou membres du bureau avouent timidement être sympathisants du PS. Indépendante donc… mais pas trop. Reste qu’à l’instar de Terra Nova maison-mère qui n’a jamais caché ses connections avec le courant social-démocrate, la cellule locale ne fait pas mystère de son ADN politique couleur rose tout en affirmant qu’en son sein toutes les tendances de l’échiquier politique sont représentées. Vont-ils s’engager pour la campagne présidentielle ? François Hollande est un candidat avec qui ils partagent un certain nombre de convictions, mais chut !

La boîte à idées

L’élection suprême n’est qu’une étape, puisque l’antenne universitaire du think tank d’Olivier Ferrand voit à long terme : « Nous voulons faire de l’Institut d’Études Politiques, un lieu d’échange intellectuel » martèle avec conviction Annaïk. Pour ce faire, la jeune organisation prévoit « de participer activement avec le concours des étudiants volontaires et des chercheurs-enseignants de la maison à l’élaboration et la rédaction de notes pour l’institution parisienne. »

En toute liberté ? Certes, le laboratoire d’idées d’Olivier Ferrand leur laisse une grande marge de manœuvre tant au niveau des thèmes abordés que des angles défendus mais au final, il garde un droit de regard. Indépendante donc… mais pas assez. Autre moyen d’action privilégié par Terra Nova-Science-Po Toulouse : « la multiplication des conférences, débats et séminaires d’intervenants extérieurs allant du politique au chercheur en passant par l’expert inséré dans le secteur privé ou encore le cadre administratif » continue la jeune femme. Vaste programme !

Aussitôt dit, aussitôt fait. L’antenne universitaire de la fondation progressiste a tenu jeudi 22 mars sa première conférence publique. Au programme : la politique de santé en France. Avec près de soixante-dix curieux venus assister à la discussion entre Catherine Lemorton et Gérard Bapt – députés socialistes de Haute-Garonne – et le Directeur de l’UFR de Santé publique à l’Université Paul Sabatier, Alain Grand, ce sujet technique en apparence a fait recette. Autre objet de satisfaction pour la jeune association : la diversité de l’auditoire. « Pour ce baptême du feu, le public était très hétéroclite. C’est encourageant » relève Jean-Baptiste.

Mais n’allez pas leur dire que les intervenants, eux, venaient du même moule idéologique. « Certes, la discussion a réuni des gens plutôt complémentaires, mais nous comptons bien la prochaine fois organiser un véritable débat entre opposants politiques ou adversaires issus de la société civile  » promet Raphaël Bonnier. En attendant, deux projets occupent les forces vives de la fondation : la tenue d’une simulation de vote pour l’élection présidentielle à l’IEP et l’ouverture à d’autres adhérents, histoire de conquérir de nouvelles terres intellectuelles ?