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Aux alentours de quinze heures, ce vendredi 10 Octobre , l’amphi Bodin était plein à craquer. Certes, aux yeux des nombreux étudiants venus l’accueillir, Florence Aubenas n’a conservé aucun des stigmates de l’ex-otage, qu’elle demeure nonobstant. Mais elle continue à générer le même enthousiasme que celui soulevé au travers des nombreux soutiens qui s’étaient mobilisés, et notamment à Toulouse, à l’époque de son enlèvement.

Sur le métier de journaliste, qu’elle exerce depuis plus d’une vingtaine d’années, Florence Aubenas ne dresse pas un tableau idyllique. Aux reflets édulcorés de la réalité, elle préfère les toiles plus arides, les paysages plus réalistes : « La formation journalistique est difficile ; c’est un métier bouché. » Un témoignage qui exclut les lieux communs, comme celui de la fameuse Vocation : « C’est une vie, un engagement qui dépend moins d’une formation théorique que d’une attitude. »

« Pourquoi je continue à faire ce métier, pourquoi je l’aime »

IMG_0233-3.jpg A mesure qu’elle nous fait part de son expérience, on comprend vite comment ce grand reporter a réussi à convertir positivement le souvenir de ces mois difficiles en Irak : « Le journalisme, confie-t-elle, c’est comme un métier de funambule : il traverse continuellement sur son fil sans bien savoir où ça va le mener. La difficulté du travail de terrain est de travailler sur de la matière vivante, avec ce risque omniprésent de se tromper : le journaliste est soumis à cet exercice d’équilibriste, contrairement à l’écrivain, qui maîtrise son récit du début à la fin».
Refusant de réduire le rôle du journaliste à celui d’un copiste multimédia, elle soutient que « sur le terrain, c’est autre chose. Ce n’est plus le journalisme de bureau. »
Et sur point, elle n’apporte pas n’importe quelle eau à son moulin, citant Montaigne: « En France, on aime davantage les commentaires sur les faits que les faits eux-mêmes ». Pour sa part, précise-t-elle, elle «préfère aller chercher l’information que la commenter ».

Puis elle nous parle de sa passion pour son métier, indéfectible jusque dans les situations extrêmes : « Très souvent quand on lit un reportage, on ne sait pas ce qu’on va y lire. Il y a moins ce côté convenu, entendu. Quand on commence un article, on ne devrait jamais savoir comment il va finir. Moi la presse, je l’aime surprenante, réelle, vivante. »

Conseils aux futurs journalistes…

Sur ce point, la règle primordiale, tout comme celle qui l’exprime, n’a rien de conventionnel : « Ne pas perdre l’élan juvénile; ne pas arriver comme des“Messieurs-Mesdames”dans les rédactions ».
Cet impératif, elle l’associe à une tendance qu’elle n’estime pas des plus bénéfiques pour assimiler le métier, celui de l’allongement des études : « Les jeunes journalistes qui arrivent dans les rédactions ont des connaissances plus construites, qui ont tendance à les maintenir dans un travail de bureau. Or, on apprend plus des choses qu’on ne connaît pas. C’est pour cette raison qu’ il ne faut jamais passer à coté d’un reportage. »

Autre atout majeur : « Avoir le courage de dire qu’on ne sait pas » Puis appliquant cette devise à la lettre, elle répond à un étudiant qui interroge son point de vue sur les évènements en Géorgie : « Sur la Géorgie, je ne sais pas. »

Un remède contre le cynisme : aborder les problèmes comme des défis

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D’autres thèmes, plus actuels, sont également abordés au fil de la discussion, parmi lesquels l’évolution de la presse écrite vers la gratuité, la concurrence des nouveaux médias entre autres.
Là encore, Florence Aubenas évite les écueils habituels, ne tombant dans l’auto-complaisance pas plus que dans la résignation : « C’est à nous, journalistes, d’affronter cette nouvelle donne, en faisant la preuve de notre valeur, en donnant au lecteur quelque chose qu’il ne trouvera pas ailleurs. »
Plutôt que de perdre un temps précieux, dont l’ex-otage a pu un jour mesurer l’épaisseur, à trouver les coupables de ce qui est communément pointé comme un désenchantement de la profession, elle propose d’envisager ces incertitudes conjoncturelles comme autant de défis à relever. Elle invite à voir dans cette période de crise de légitimité du métier une occasion de mettre la barre plus haut, de se hisser à une qualité d’information supérieure : « Travailler plus, travailler mieux, ne pas lésiner», indique-t-elle aux étudiants.

Professionnelle de l’information elle-même, Florence Aubenas n’a pas pour autant esquivé les aspects moins glorieux du monde journalistique. L’occasion d’aborder la critique nécessaire de la presse, la hiérarchie de l’information, et les problèmes liés au rythme d’un journal quotidien.
« La presse est forte quand les journalistes sont forts, quand ils ont une dignité, quand ils se donnent les moyens de se faire respecter: quand j’observe la presse française rire des blagues de Nicolas Sarkozy à chacune de ses conférences, au lieu de poser les vraies questions, j’en pleurerais. Ce n’est pas normal. »
Et cette femme de terrain n’est pas du genre à éluder le type de sujet glissant que représente celui de l’indépendance des médias vis-à-vis de l’Etat. Conséquente avec elle-même, Florence Aubenas ne mâche pas ses mots : depuis la mise en place du gouvernement Sarkozy, elle observe une désaffection du rôle de contre-pouvoir des médias. Un constat qu’elle déplore, mais dont elle n’ignore pas qu’il puisse être lié aux pressions d’un pouvoir politique de plus en plus opaque… Evoquant le cas récent d’une journaliste exclue manu militari d’une conférence de presse pour avoir déplu à un ministère, elle ajoute : « Actuellement, on n’assiste plus à un combat à armes égales, mais à une gestion de la presse par le politique sur le mode du “avec moi ou contre moi ” »

Puis, comme s’interdisant de finir sur une critique négative, elle lance :« En France on a tendance à préférer le clin d’œil et le bon mot à une position plus rigoriste : il va falloir faire mieux que nous. »