Lors de son Congrès au Parlement à Versailles, François Hollande a annoncé la mise en place de plusieurs mesures en réponse aux attaques terroristes du 13 novembre. Parmi elles, la révision de la Constitution.

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Le sujet était délicat, et la réponse attendue. Lundi 16 novembre, trois jours après les attentats qui ont touché Paris, le Président François Hollande a convoqué l’ensemble du Parlement (soit 577 députés et 348 sénateurs) sous la forme d’un Congrès, à Versailles. Cette réunion ne doit rien au hasard : le Congrès de Versailles a déjà été réuni à 18 reprises sous la Vème République. Il n’est convoqué que dans certains cas précis : le vote de révision d’une Constitution, l’audition d’une déclaration du Président de la République, et l’autorisation de l’adhésion d’un Etat à l’UE.

Ce jour là, François Hollande a d’abord expliqué que « nous (la France) sommes en guerre » (même si aucune déclaration de guerre n’a été autorisée par le Parlement), avant d’annoncer plusieurs mesures. D’abord, la révision des articles 16 et 36 de la Constitution. Mais aussi sa volonté d’allonger l’état d’urgence à 3 mois, la mise en place d’effectifs supplémentaires pour assurer la sécurité, la possibilité d’utiliser la déchéance de nationalité pour les bi-nationaux, et l’appel à l’article 42.7 du traité de l’Union, qui prévoit qu’en cas d’agression d’un Etat membre, tous les Etats également membres doivent lui « apporter solidarité face à cette agression ».

Ces mesures, et notamment les deux premières, proposent donc une révision de la Constitution, cet « ensemble de textes juridiques qui définit les différentes institutions composant l’Etat et qui organise leurs relations » (source Legifrance). On parle alors de projet de révision, puisqu’il est émis par le Président. Quelles sont alors les modalités et les démarches à suivre ?

1. Les articles 16 et 36

Lors de son allocution, le Président a visé deux articles précis : le 16, qui concerne les pouvoirs exceptionnels, et le 36, qui instaure l’état de siège. Ils font partie des régimes d’exceptions, qui doivent répondre à trois logiques : la nécessité de la mesure, sa proportionnalité, et son adaptation.

Voici ce que dit l’article 16 de la Constitution de 1985 :

« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. »

Plus d’informations sur l’article 16

L’article 16 est prévu en cas de situation de conflit, et permet au Président d’obtenir ce qu’on appelle « les pouvoirs exceptionnels », dans le but de régler le conflit. Comme il est précisé dans l’article, le pays est « menacé d’une manière grave et immédiate ». A ce jour, il n’a été utilisé qu’une fois : en 1961, lors du Putsch des généraux pendant la guerre d’Algérie.

Le contenu de l’article 36 est plus succinct, et ne définit pas la notion d’état de siège.

L’état de siège est décrété en conseil des ministres.

Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement.

Plus d’informations sur l’article 36

L’article est expliqué dans le Code de la Défense, L2121-1 : « L’état de siège ne peut être déclaré, par décret en conseil des ministres, qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée ». Il s’agit de transférer les pouvoirs civils et judiciaires au militaire.

** »Il faudrait être encore plus rigoureux dans les critères d’application des articles 16 et 36″

Aujourd’hui, ces articles (dans leurs formes actuelles) ne peuvent pas être appelés pour répondre aux attaques du 13 novembre. Le fonctionnement des institutions n’est pas interrompu, et il n’y a ni guerre étrangère, ni insurrection armée.

Il est d’ailleurs important de préciser que le Président n’a jamais mentionné qu’il souhaitait utiliser, dès maintenant, les articles 16 et 36. Devant le Congrès, il a annoncé vouloir les modifier car ils « ne sont plus adaptés à la situation que nous rencontrons ». Pourquoi réviser la Constitution sans vouloir l’utiliser par la suite ?

Il est encore tôt pour répondre à ces questions, mais quelques pistes peuvent être envisagées. Pour Laure Ortiz, professeur des universités à Sciences Po Toulouse, il a sans doute profité de la tenue du Congrès (dans le cadre de son allocution) pour modifier la Constitution, et ainsi revoir l’ensemble des régimes d’exceptions. « La question est la suivante : comment veut-il les modifier ? Veut-il assouplir les conditions de mise en oeuvre ? Au contraire, il faudrait être encore plus rigoureux dans les critères d’application des articles 16 et 36. »

Pour rappel, il y a deux moyens pour le Président de réviser la Constitution : par référendum auprès de la population, ou par un vote au Congrès. Le Président doit alors obtenir une majorité de 3/5ème des suffrages exprimés. La dernière révision constitutionnelle de 2008 a d’ailleurs modifié l’article 16, pour instaurer un contrôle démocratique sur la durée de l’application, et ainsi éviter d’utiliser l’article à des fins autoritaires.

2. L’état d’urgence

L’état d’urgence n’est pas un statut défini par la Constitution. Il résulte en effet d’une loi d’avril 1955.

L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Plus d’informations sur la loi du 3 avril 1955

L’état d’urgence est, à l’origine, fixé pour 12 jours, mais il est possible d’allonger cette durée. Décrété le 14 novembre en conseil des ministres, l’état d’urgence a été prolongé à 3 mois par la loi du 20 novembre 2015.

A lire sur leMonde.fr : Que contient l’état d’urgence ?

Une piste probable serait la fusion entre les régimes d’exceptions, ce qui aurait pour conséquence de constitutionnaliser l’état d’urgence. En 2007, le comité Balladur proposait justement d’inscrire l’état d’urgence à côté de l’état de siège.

3. Quelles peuvent être les conséquences de ces modifications ?

Pourquoi annoncer si rapidement la modification d’articles qui ne peuvent pas, pour l’instant, être mis en oeuvre ? Et pourquoi modifier la Constitution ? Laure Ortiz redoute des pouvoirs plus faciles à utiliser. « S’il y a un assouplissement des critères de mise en place de ces articles, il y a un risque de pérennisation de l’état d’urgence ». La prévention pourrait devenir un motif pour justifier l’utilisation de ces régimes. Or, dans une situation d’état d’urgence, certaines libertés peuvent être limitées, comme la liberté de réunion ou de circulation.

Il y a beaucoup de concepts dans ce discours au Congrès. « Nous ne savons pas vraiment s’il s’agit de notions métaphoriques ou juridique. Ici, on sort du droit pénal, sans pour autant rentrer dans le droit de la guerre. » La différence est complexe : en parlant de guerre, le Président renvoie à un droit bien particulier utilisé en cas de conflit. Mais il refuse d’en faire un combattant, puisqu’il ne reconnaît pas « l’Etat » de Daesh. « On met les gens hors droit », explique Laure Ortiz.

Il est encore tôt pour analyser les conséquences juridiques de ce discours au Congrès. Pour l’instant, comme mentionné ci dessus, plusieurs pistes peuvent être envisagées. De nombreux spécialistes, dont des juristes, analysent dans les médias les conséquences d’un allongement de l’état d’urgence. Il est trop tôt pour analyser une modification constitutionnelle qui n’a pas eu lieu. Mais se poser la question, c’est aussi chercher la bonne mesure entre liberté et sécurité.