Le rapporteur public a estimé mercredi 14 octobre que le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour juger de la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Univers-Cités fait le point sur ce feuilleton qui dure depuis plus d’un an.
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« Le rapporteur public a estimé que la décision du gouvernement de céder 49,99% de l’aéroport à Symbiose est un acte individuel et non règlementaire », a déclaré Maître Christophe Lèguevaques, le défenseur des opposants à la privatisation de l’aéroport Toulouse Blagnac, à Toul’éco, mercredi 14 octobre.

Le recours déposé par le Collectif contre la privatisation de la gestion de l’aéroport Toulouse-Blagnac (ATB) visait à annuler la procédure de cession d’une partie des parts de l’Etat à une société chinoise. La décision du rapporteur public devrait influencer la décision du Conseil d’Etat, qui a désormais quelques semaines pour statuer.

Comment en est-on arrivé là ? De la cession des parts de l’Etat à une entreprise chinoise, à la bataille juridique d’un collectif de riverains, retour sur cette saga à rebondissement.

1. Décembre 2014 : l’Etat annonce la vente de 49,9 % de l’aéroport Toulouse-Blagnac

C’était une rumeur depuis plusieurs mois, mais l’annonce a fait l’effet d’une bombe : le 4 décembre 2014, Emmanuel Macron révèle qu’il va céder 49,9 % des parts que détient l’Etat à l’ATB pour la somme de 308 millions d’euros. L’acquéreur est un consortium chinois, Symbiose, réunissant deux entreprises : Shandong Hi-Speed Group et FPAM Group. Le ministre de l’économie se veut alors rassurant : « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’état restent majoritaires avec 50,01 % du capital », déclare-t-il à La Dépêche du midi. « On ne vend pas l’aéroport, on ne vend pas les pistes ni les bâtiments qui restent propriété de l’Etat. »

Mais quelques jours plus tard, Mediapart publie « Les preuves du mensonge » : le pacte d’actionnaires, jusqu’alors tenu secret, qui lie l’Etat aux investisseurs chinois ayant remporté l’appel d’offre. Le journal dirigé par Edwy Plenel révèle que, d’après ce pacte d’actionnaires, l’Etat donne tout pouvoir au consortium.

Les trois membres du directoire seront en effet désignés par les investisseurs chinois, l’Etat promettant de « voter en faveur des candidats » (paragraphe 2.1.3). Par ailleurs, « l’État s’engage d’ores et déjà à ne pas faire obstacle à l’adoption des décisions prises en conformité avec le projet industriel tel que développé par l’Acquéreur dans son Offre et notamment les investissements et budgets conformes avec les lignes directrices de cette offre » (paragraphe 2.2.2). Médiapart dénonce alors une privatisation en bonne et due forme, d’autant que les 50,1 % restants ne sont pas concentrés dans les seules mains de l’Etat (cf. graphique ci-dessous).

La vente des 49,9 % est officialisée cinq mois plus tard, le 17 avril 2015. Les parts sont cédés à Casil Europe, une holding française récemment créée par le groupe d’Etat chinois Shandong Hi-Speed Group (51 %) ainsi que le fond d’investissement hongkongais Friedmann Pacific Asset Management (49 %). Elle comprend une option de vente des 10,1 % restant à l’Etat français après une période de trois ans.

> Pour aller plus loin, lire « Qui est Casil Europe, le nouvel actionnaire de l’aéroport de Toulouse ? » sur La Tribune.

2. Quel est le projet de Casil Europe pour l’aéroport Toulouse-Blagnac ?

Comment une entreprise chinoise sans aucune expérience en gestion d’aéroport a-t-elle pu remporter l’appel d’offre, face à des concurrents comme l’association Aéroports de Paris et Prédica (crédit agricole) ou Vinci/Caisse des dépôts et Edf Invest (propriétaire de 24 aéroports dans le monde dont 11 en France) ?

Le consortium Symbiose, représenté par la société Casil Europe a pour l’ATB un projet industriel. Objectif : faire de l’aéroport un hub européen en ouvrant des liaisons aériennes vers les nouveaux marchés asiatiques, américains et du Moyen-Orient. Le plan prévoit donc une augmentation du trafic, ainsi que 850 millions d’euros d’investissement. (cf. graphique ci-dessous).

3. Mai 2015, Poon Ho Man, membre du directoire d’ATB, disparaît.

C’est le début d’une longue liste d’affaires suspectes concernant la privatisation de l’aéroport de Toulouse. La disparition inexpliquée de l’homme d’affaire chinois Poon Ho Man, dit aussi Mike Poon, PDG de l’entreprise FPAM Group et, à ce titre, membre du directoire d’ATB, est entourée de rumeurs. Peu avant, il aurait été impliqué dans une enquête pour corruption visant China Southern Airline, ouverte par les autorités chinoises. Le 17 juin 2015, il démissionne de son poste de PDG de Calc, une entreprise spécialiste de la location d’avions.

Et les accusations contre Symbiose ne s’arrêtent pas là. Le 30 juin dernier, Mediapart révèle que la privatisation de l’ATB s’est faite au profit d’une société écran. Casil Europe n’aurait en réalité que 10 000 euros de capital et son siège social, basé à la Madeleine à Paris, serait fictif.

En septembre 2015, nouveau rebondissement : Mike Poon envoie par courrier sa démission du au conseil de surveillance d’ATB. Il est aussitôt remplacé par Jacky Choi, un autre cadre de la société. Toujours introuvable, Mike Poon reste néanmoins le PDG de Casil Europe.

4. La mobilisation citoyenne contre la privatisation : une longue bataille juridique.

Dès l’annonce de la vente des parts de l’Etat s’est formé le « Collectif contre la privatisation de la gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac », composé d’associations de quartier, de partis politiques, de syndicats. Au premier plan de la bataille juridique qui s’engage alors : les riverains. Ils craignent que la transformation de l’aéroport en hub entraine encore plus de nuisances, notamment sonores.

Représentés par maître Christophe Lèguevaques, ils multiplient les requêtes :

  • 30 décembre 2014 : le Conseil d’Etat rejette la demande de référé-suspension, estimant qu’il n’y a pas de doute sur la légalité de la décision de l’Etat de vendre ses parts. La procédure de vente peut donc continuer.
  • 25 mars 2015 : maître Christophe Leguevaques pose au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), estimant que le pacte d’actionnaire représente une atteinte à la « souveraineté nationale », « la libre administration des collectivités territoriales » ainsi qu’à « la liberté d’entreprendre, par le transfert à un acteur privé d’un monopole de fait ».
  • 13 avril 2015 : le collectif dépose une requête pour une action en nullité devant le tribunal administratif de Toulouse, afin de faire annuler le pacte d’actionnaires. La demande est renvoyée quelques mois plus tard.
  • 14 octobre 2015 : le rapporteur public estime que le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour juger la légalité de la cession à 49,9 % des parts de l’Etat à des investisseurs chinois car il ne s’agit pas d’un acte réglementaire.

5. La timide mobilisation des acteurs locaux.

Résolus à ne rien faire sur le plan juridique, les acteurs locaux, qui possèdent au total 40 % des parts de l’ATB, ont commencé à se mobiliser pour assurer la majorité aux actionnaires publics dans l’entreprise.

Dès le mois d’avril, George Meric, président du conseil général de Haute-Garonne, affirme sa volonté de voir les acteurs publics locaux racheter les parts restantes de l’Etat (10,1 %). Dans ce but, il organise une table ronde rassemblant le Conseil départemental, le Conseil régional Midi Pyrénées, la CCI Toulouse et la ville de Toulouse.

Le 23 juin, il invite les dirigeants de Wiseed, une plateforme de financement participatif à les rejoindre, déclarant qu’il « souhaite placer les citoyens au cœur du projet de rachat des parts de l’Etat ». Wiseed avait organisé une opération, baptisée « Rachetons l’aéroport de Toulouse » : en douze jours seulement, elle avait recueilli plus de 10 000 intentions pour un total de 18 millions d’euros. « Votre mobilisation unique », peut-on lire sur le site, « a montré à nos élus qu’en dehors des périodes d’élection, les citoyens français savent se mobiliser. Grâce à vous toutes et tous, la notion de privatisation citoyenne est née. »