A.L. (qui n’a pas souhaité qu’on diffuse directement son nom) était étudiant à l’IEP Toulouse. Il a décidé de tout plaquer pour se consacrer à ses projets et bâtir son avenir par ses propres moyens. « Univers-Cités » l’a rencontré.

« Univers-Cités » : Pourrais-tu nous décrire en quelques mots ton parcours?
A.L. : À 18 ans, j’étais musicien. Je voulais réaliser mon rêve et en vivre : c’était la vision de l’avenir que j’avais à l’adolescence et même pendant mon enfance. En même temps, je m’en sortais super bien à l’école. Je me suis dis : « Je vais monter un label de musique ». Mais je n’avais aucun contact. Alors je suis entré en prépa HEC, pour apprendre. Au bout d’un an, les cours m’ont soûlé. Les maths m’ennuyaient alors qu’à côté, j’avais des cours d’histoire passionnants. J’ai découvert Sciences Po et je me dis qu’il fallait le tenter : cette école avait l’air tellement vague que j’y trouverais forcément ce que je cherchais… J’ai réussi. Je suis rentré à Sciences Po Toulouse et là, j’ai réalisé que ce n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais. J’ai été déçu par le format des cours et j’ai commencé à ne plus vraiment travailler.

Qu’as-tu fait pendant ton année de stages à l’étranger?
A.L. : J’ai cherché un stage dans le domaine de la musique. J’ai trouvé dans un label : ZErecord, au Brésil. Cette année a été la plus formatrice d’entre toutes. On gérait le catalogue du label avec juste deux ordinateurs. Tout allait vite, on était connectés : presser des CD en Chine, trouver un bateau pour les livrer en Angleterre… On touchait à tout avec très peu de moyens. Mon maître de stage me donnait des conseils en design, en pub, en graphisme… J’ai aussi appris à créer des sites internet pour gagner un peu d’argent et en vivre.

Qu’est-ce qui t’a décidé à abandonner tes études?
A.L. : De retour à l’école, je me suis dit : « Ça va lentement! ». J’avais pris l’habitude d’apprendre tout seul et rapidement. J’ai passé l’année complètement dépité. J’en pouvais plus et dans la foulée, j’ai redoublé mon année : il me manquait trois centièmes de points pour passer… Je suis allé au rattrapage mais après les premières épreuves, j’ai pété un plomb et j’ai tout abandonné. Je l’envisageais déjà depuis quelque temps et ça a été le déclencheur. Il y avait peut-être quelque chose d’un peu puéril dans cette décision. Je me disais : « Je me casse, j’en ai pas besoin ». Et puis surtout, je voyais l’exemple des gens des promotions précédentes : soit ils étaient encore en stage à 25 ans, soit ils avaient un boulot mais ils s’ennuyaient lamentablement. J’avais l’impression de ne pas tirer de vraie « plus-value » de mes cours. Alors j’ai pensé : « Avec tout ce que je connais, je peux peut-être aller plus vite. ».

Quel était ton plan à l’époque, tes projets?
A.L. : En quittant l’IEP j’ai pris un emprunt garanti par l’État pour être indépendant vis-à-vis de mes parents. L’idée, c’était de créer des sites web, gagner de l’argent et spéculer sur le bitcoin (une monnaie virtuelle) pour vivoter. Ça a marché. Parallèlement, j’ai recontacté mon ancien maître de stage et on s’est lancé dans un projet de livre sur le rock new-yorkais. Ça devait à terme me permettre d’en vivre. À l’origine c’était la réédition d’un recueil de poésie de Patti Smith. Puis ça a pris une toute autre dimension : un livre de 400 pages et un projet d’exposition dans plusieurs métropoles. Mais ce projet était devenu trop lourd pour être mené à bien par deux personnes… Il est un peu à l’arrêt pour le moment. Du coup, je me suis lancé dans autre chose : j’ai des amis qui écrivent des nouvelles, des romans ou des scénarios et je les aide à mettre en forme leurs projets.

Comment comptes-tu gagner ta vie maintenant?
A.L. : En octobre, je vais devoir rembourser mon emprunt et trouver un travail. J’ai un mois et demi pour trouver des solutions : l’objectif est de débloquer assez de temps pour pouvoir me lancer dans un maximum de projets et réaliser ceux qui sont entamés. Soit ces projets fonctionnent, soit non et… j’aimerais bien que le revenu de base existe. (rire). Je vais devoir me lancer en freelance, monter des projets publicitaires, créer des sites web etc. Mais j’aimerais ne pas travailler tout le temps là-dedans : tu passes ta vie devant un écran, tu deviens un peu une machine.

Où t’imagines-tu dans cinq, dix ans?
A.L. : En fait… je sais pas. (rire). En admettant que j’arrive à obtenir ce que je veux… Dans l’idéal : j’aimerais bien vivre la moitié de l’année à un endroit, et l’autre moitié ailleurs. Je voudrais bien avoir un point de chute dans une ville : Toulouse c’est pas si mal. Paris j’aime bien mais il fait un peu un sale temps (rire). Le reste du temps je partirais bien vivre à l’étranger. J’ai des amis un peu sur tous les continents alors ça serait possible. Un salaire de 1 500 euros par mois, ce serait parfait : c’est déjà énorme pour moi ! Donc voila : vivre une vie de nomade mais avec un petit port d’attache. J’aimerais avoir cette vie.

Comment vois-tu l’avenir du monde, dans les décennies qui viennent?
A.L. : Je suis ultra-pessimiste. J’ai peur, à vrai dire. Je vois une ultra-connexion, sans connaissance de la machine : c’est choquant. Je ne sais pas où ça va nous mener. Nous encore, on a la chance d’être dans la transition et d’avoir pu surfer sur la vague, mais ceux qui arrivent après nous… Au niveau politique, j’ai l’impression qu’on revient à une espèce de moyen-âge : avec des blocs qui se constituent comme des empires. Est-ce qu’on va vers des guerres ? J’espère pas. C’est une époque ultra-changeante, j’ai du mal à y discerner des tendances. Quand on regarde toutes les innovations technologiques, biologiques : plus personne n’y comprend rien. Toutes ces découvertes sont géniales et effrayantes en même temps.

Et quelle est la place de ta génération dans tout ça ? Ta place ?
A.L. : Ceux d’entre nous qui vont dans des « parcours classiques » semblent s’endormir : « Je trouve un boulot, une copine, un logement. Et puis tous les rêves que j’avais dans ma jeunesse, je les sacrifie ». Je sens un peu ça autour de moi. Je n’en veux pas. Je comprends ce choix bien sur, je ne le juge pas : j’ai été élevé dans un milieu qui suit ces principes. C’est justement pour ça que je ne veux pas reproduire les mêmes erreurs. J’aimerais réussir à trouver l’équilibre entre l’individualisme et le partage. Je veux survivre, faire des choses qui me plaisent et en même temps me créer des réseaux de personnes qui se comprennent et veulent avancer, continuer de défendre leur désir de liberté et d’émancipation. Comment faire pour ne pas vivre dans l’illusion, pour reprendre le contrôle de notre imagination et de nos rêves dans ce monde-là?