Les journalistes français Didier François, Edouard Elias, Nicolas Hénin, Pierre Torres sont toujours retenus en otage en Syrie. D’autres ont été blessés ou tués, comme Rémi Ochlik, Gilles Jacquier et des journalistes étrangers, victimes de bombardements ou de tirs. Autant de noms qui s’ajoutent à la liste noire des journalistes et photoreporters disparus ou enlevés en Syrie depuis le début du conflit. Lors des Assises du Journalisme qui se sont déroulées les 5, 6 et 7 novembre à Metz, des photoreporters se sont posés la question : « Faut-il continuer ou non à aller sur le terrain pour couvrir et témoigner de cette guerre ? »

Pour Edith Bouvier, journaliste grièvement blessée en 2012, le journaliste franco-syrien Ammar Abd Rabbo et Philippe Desmazes de l’AFP, la réponse est « oui ». Et la question qu’il faut véritablement se poser est : « Comment doit-on et peut-on photographier la guerre ? ».

Photographie de Ammar Abd Rabbo

« Ma Kalachnikov, c’est ma caméra »

Ils côtoient la guerre pendant plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs mois. Régulièrement au milieu des bombardements, prêts à tout pour obtenir le cliché qui montre la réalité de la guerre, ces trois photojournalistes ont vécu le conflit syrien. Leur première difficulté : rentrer dans le pays. Ammar Abd Rabbo a mis dix-huit mois pour trouver une porte d’entrée. « Il fallait être très prudent pour rester dans la clandestinité car il peut y avoir des pressions sur la famille. Mais ma principale difficulté a été de dire : « ma Kalachnikov, c’est ma caméra » à ceux qui me disaient de venir me battre à leurs cotés », explique-t-il.

Ensuite, ils doivent s’adapter au terrain, prendre des clichés et souvent se rendre au coeur du conflit car comme le souligne Ammar Abd Rabbo, « les journalistes peuvent écrire depuis leur chambre d’hôtel alors qu’une photographe doit vraiment aller sur le terrain ». Une tâche d’autant plus difficile que selon lui, le gouvernement syrien a pris les journalistes comme cible. « Nous ne sommes pas juste des témoins mais aussi des acteurs« , poursuit-il. Et c’est pour cette raison, qu’il met un point d’orgue sur « photographier les à-cotés de la guerre », les scènes de vie, les bâtiments détruits, les manifestations…

« Ils avaient l’impression que l’on faisait quelque chose d’incroyable »

Edith Bouvier a réellement vu la différence de comportement depuis le début de la guerre en Syrie. « Quand je suis arrivée, la population m’a bien accueillie, ils avaient envie et besoin de parler, ils avaient cette impression que l’on faisait quelque chose d’incroyable. Mais les mois ont passé et les promesses internationales n’ont pas été tenues« , regrette-t-elle. Blessée à la jambe à Baba Amr, un quartier de Homs, soignée, protégée et transportée par l’Armée syrienne libre, rapatriée au Liban après une interminable traversée dans un tunnel pour être évacuée, la jeune femme est rentrée en France affaiblie mais vivante et avec toujours cette envie de repartir.

Perçus comme des héros courageux ou comme des fous furieux risquant leur vie parce qu’ils ont ce besoin perpétuel d’adrénaline, les reporters de guerre sont confrontés à une autre difficulté : celle du retour.

Philippe Desmazes part régulièrement en reportage, mais à l’AFP, ils ne durent jamais plus de trois ou quatre semaines. « Pour me protéger, je ne prends pas parti, je m’efface, ces conflits ne sont pas notre vie sinon notre métier ». Mais comment mener une vie normale après avoir vécu toutes ces choses-là ? Chacun sa méthode pour se préserver et tenter de ne pas sombrer dans le syndrome post-traumatique.

Certaines rédactions refusent d’envoyer en Syrie des journalistes car la situation est trop risquée. Mais si on arrêtait de les envoyer, qui pourrait témoigner de ce qui se passe là-bas ? C’est plus ou moins leur conclusion. N’oublions pas que ces trois photojournalistes habitués aux territoires hostiles ont accepté voire décidé de se rendre sur ces lieux de combat. Ils recommandent néanmoins à quiconque (surtout aux jeunes journalistes) de bien réfléchir avant de se lancer dans cette aventure non sans risques.