Didier Porte est humoriste et journaliste. On l’a longtemps entendu en fin de matinée sur France Inter, dans l’émission de Stéphane Bern. Mais s’il est célèbre, c’est surtout pour avoir été licencié de France Inter, au même moment que Stéphane Guillon. Une décision politique, sous prétexte de changement de grille de programme. L’affaire avait fait grand bruit. Mercredi 23 octobre, Didier Porte était à Toulouse à l’occasion d’une conférence organisée par l’association Cactus. « Univers-Cités » fait le point, avec lui, sur le journalisme et l’humour.

Univers-Cités : Les humoristes et les chroniqueurs sont-ils, d’après vos propres termes, des contre-pouvoirs ?
Didier Porte : C’est vrai, j’ai dit ça (rire). C’est prétentieux, mais je pense, en tout cas que, quand on a une parole publique, quelque soit sa discipline, en l’occurrence celle d’humoriste, il est plus intéressant d’en profiter pour exprimer un certain nombre d’idées personnelles qui ne sont pas simplement de la pure déconne. Un contre pouvoir… D’autant moins que je n’y crois pas vraiment. J’ai dit une connerie ce jour là. Je pense que les humoristes, sauf si c’est en Egypte, en Lybie ou en Syrie actuellement, n’ont pas un rôle très décisif. Ils ont une fonction un peu cathartique, ils sont là pour aider les gens à se défouler, plus que pour mettre en danger le système. Donc je ne crois pas tant au rôle subversif de l’humoriste, à part en des circonstances particulières, dans les régimes autoritaires par exemple.

Vous ne pensez pas, en tant qu’humoriste et journaliste, avoir une vocation à faire bouger les mentalités ?
Si, bien sûr, l’idée est quand même de mettre l’accent sur des points qui sont intéressants à développer, des prises de conscience que vous avez eues et que vous voulez faire partager à d’autres, d’évoquer des sujets qui font l’objet d’une sorte de consensus, de loi du silence. Il y a aussi des sujets que les médias ne traitent jamais, ou de manière frileuse. On a un peu un rôle de journaliste de complément. L’exemple que je donne souvent c’est celui de DSK. A une époque, chez les journalistes, tout le monde était au courant de ses frasques et de sa « nymphomanie » entre guillemets, personne n’en parlait mais nous, les humoristes, on pouvait se le permettre. Guillon l’a fait dans un papier célèbre mais nous l’avions tous réalisé bien avant. Moi-même, j’avais fait plusieurs papiers dans lesquels je me foutais de sa gueule parce qu’on savait, depuis le bouquin de Birenbaum, qu’il avait traîné dans toutes les boîtes échangistes. Et il était identifié, tous les journalistes le savaient. En plus, à l’époque, il était ministre des Finances je crois… Un ministre des Finances qui va au 41, chez Denise (ndlr : célèbre club libertin de Paris) avec Patrick Sébastien et Carlos, c’est quand même un peu casse-gueule. Le rôle des journalistes était de le dire mais il y avait une omerta là-dessus et c’est là que nous, les humoristes, on pouvait y aller parce que nous n’avions pas cet espèce de pression, de contrôle social professionnel qui fait que les journalistes sont responsables devant leur rédaction et ont un code professionnel, de bonne conduite. Effectivement, nous, humoristes, sommes des francs tireurs, on ne défend que notre propre parole, on ne parle pas au nom d’une rédaction ou d’une institution, donc on pouvait s’engager sur ce terrain là et éventuellement inciter les journalistes à le faire. C’est en ça que nous sommes un peu des journalistes de complément.
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De telles prises de position peuvent poser problème, un doux euphémisme dans votre cas…
C’est très mal vu d’être un humoriste qui d’abord appelle à voter pour un candidat aux présidentielles, qui surtout appelle à voter pour un candidat considéré comme marginal et relativement extrémiste, même si je ne crois pas que Mélenchon soit un gauchiste. Mais effectivement appeler à voter pour Mélenchon et participer au grand meeting de la Bastille quand on est un humoriste, c’est s’exposer à une forme d’ostracisme de la part des médias institutionnels et ce n’est pas un hasard si je ne suis jamais invité à la télé, à part peut-être Public Sénat ou un truc du genre. Vous me direz qu’il y a plein d’autres gens jamais invités à la télé, mais compte tenu de ma notoriété (ndlr : depuis son licenciement de France Inter), logiquement je devrais l’être. Je ne le suis pas, principalement pour cette raison là, pour « gauchisme ». Pourtant je ne m’estime pas gauchiste du tout mais j’ai cette étiquette là et je le paie.

Quelle place pour l’humour quand il s’agit d’informer ?
J’ai toujours essayé de mélanger les deux quand j’étais journaliste. J’ai d’ailleurs commencé à La Dépêche, à Agen puis à Carcassonne, et j’adorais mélanger les deux. Mais c’était très mal vu et je me suis fait virer assez vite, au bout d’un an. Il y a très peu de journalistes qui s’essayent à l’humour ou alors c’est toujours dans des disciplines un peu marginales. Par exemple il y a [Raphaël] Garrigos et [Isabelle] Roberts à Libération qui traitent des médias. Même si c’est un sujet important, ils arrivent à très bien le traiter, en ayant des scoops et en faisant leur boulot de journaliste, tout en étant certainement les plus drôles aujourd’hui. Ce sont les deux journalistes qui me font le plus rigoler aujourd’hui tout en faisant très bien leur boulot d’informateur. Ce n’est pas du tout incompatible mais bon, c’est dans la tradition, il faut que les journalistes soient crédibles et il ne faut pas mélanger les genres.

Quelles sont vos projets ? Comment voyez vous l’avenir, plus ou moins lointain ?
Survivre… Pour l’instant je suis chroniqueur à Médiapart, ce dont je suis très content. J’ai une chronique à RTL… bon, je fais une chronique par semaine, c’est très symbolique et je ne me fais pas trop d’illusion sur mon avenir sur cette station mais Stéphane Bern m’a gentiment offert l’asile après mon éviction de France Inter. Et puis j’interviens dans @rrêt sur image de Schneiderman, que j’aime beaucoup, de manière un peu plus ponctuelle et puis je fais mon spectacle mais c’est vrai que je suis ric-rac professionnellement : deux ou trois chroniques par semaine, ce n’est pas énorme, surtout que ce n’est pas très bien payé, même à RTL. Voilà, j’ai effectivement mon spectacle qui tourne, mais n’étant invité jamais nulle part ni sur aucune chaîne de télé, c’est beaucoup plus difficile de le vendre qu’à France Inter où j’étais six fois par semaine. Donc ce n’est pas toujours évident.

Vous parlez justement de Stéphane Bern. Vous avez collaboré avec lui pendant dix ans pour l’émission Le Fou du Roi et il vous donne maintenant un créneau sur RTL. Vous êtes les meilleurs amis du monde ?
Non (rire), on n’est pas les meilleurs amis du monde. Il a été très correct avec moi quand j’ai été viré de France Inter… Il a été toujours été réglo avec moi, j’ai toujours été réglo avec lui. Quand je me suis exprimé publiquement à son sujet, je suis toujours resté correct, même si nous avions des différends. On n’a rien à voir en termes de vision du monde et de vie quotidienne sûrement, mais c’est un garçon à qui je dois. J’ai bossé plus de dix ans au Fou du Roi et je n’ai eu qu’à m’en féliciter.