Du 26 au 28 octobre dernier, les caciques du Parti socialiste se sont réunis à Toulouse à l’occasion du 76ème congrès de leur formation politique. Sans véritable enjeu puisque le nom de leur nouveau premier secrétaire, Harlem Désir, est déjà connu, le rassemblement des cadors du parti de la rose n’avait qu’un but : rassembler. Bilan.
Si le grand raout de la social-démocratie française n’a pas attiré les foules, toutes les têtes d’affiche ont répondu présents. Ministres, élus locaux, membres du bureau politique, aucun ne manquait à l’appel. Enjeu de ce week-end : montrer un parti uni derrière le gouvernement. Un soutien nécessaire à l’heure où l’appareil d’État subit une triple critique.
Jugée « amateur », vilipendée pour ses couacs à répétition, et déstabilisée par des cotes de popularité basses, la Hollandie va peut-être bel et bien connaître l’état de… coup de grâce. Côté militants, le temps est plutôt « aux lendemains qui déchantent ». Alors que le Parti socialiste détient tous les échelons du pouvoir politique, les grandes réformes se font attendre, et la méthode Ayrault laisse parfois perplexe. Il est donc urgent de sonner le tocsin de la remobilisation, tout le programme de cette édition du congrès PS.
Le retour : Ségolène Royal
Décidément, Ségolène Royal n’a rien perdu de son bagout pour se jouer de l’agenda politico-médiatique. À contre-temps sans être à contre-courant, l’élue du Poitou sait provoquer le buzz. Ses présences comme ses absences, chacune de ses (non)-décisions sonnent comme des coups politiques, commentés, analysés et sur-interprétés. Aussi, après une diète médiatique forcée depuis le fameux #Twittergate, l’ancienne candidate de l’élection présidentielle de 2007 a retrouvé le chemin de la tribune PS vendredi 26 octobre. Reste que si elle s’exprime, elle le fait en sa qualité de vice-présidente de l’internationale socialiste. Exit donc la Ségolène de 2008, guide déchue d’une gauche en recomposition à Reims.
Devant une salle plus que mitigée, l’oratrice presse le gouvernement « d’aller plus loin » et « de passer aux actes ». Elle récite son catéchisme sur l’Europe qui « ne doit plus être en retard », en appelle à la régulation des banques et du système financier avec « la fin de la spéculation […] la création d’une agence publique de notation ». Libre de tout mandat national, et solidaire à sa manière de la majorité gouvernementale, Ségolène Royal a une liberté de ton dont elle entend bien user comme elle l’a déjà fait cette semaine dans les colonnes du Point et du Monde.
L’intronisé : Harlem Désir
Surtout ne pas replonger dans le psychodrame du congrès de Reims de 2008. Lorsqu’ils mettent sur pied le nouveau mode de scrutin de désignation du premier secrétaire, les apparatchiks du bureau politique veulent une élection où se dégage une véritable ligne de parti. Harlem Désir et sa figure consensuelle tire son épingle du jeu pour mener à bien la motion 1. Résultat : près de 70 % des voix. Une victoire en trompe-l’œil d’une liste ultra-majoritaire chez l’intelligentsia PS qui peine à faire l’unanimité côté militants. Qu’à cela ne tienne, pour couper court à tout départ d’incendie sur un premier secrétaire « mal élu », à la légitimité toute relative, et bras armé du gouvernement, les appelés du congrès ont multiplié les roses à l’encontre du nouveau Lider Maximo du premier parti de France.
Tous ont vanté les mérites, et les qualités de rassembleur de celui qui incarnera durant quatre ans le parti de la rose. La première secrétaire sortante s’est dit heureuse de laisser les clés de la maison Solférino à l’ancien de SOS-Racisme. Même son de cloche chez Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault. Lorsqu’il arrive donc devant son pupitre, dimanche 28 octobre, c’est donc assuré du soutien unanime des têtes pensantes de son parti qu’Harlem Désir s’exprime. Le ton est rude, le discours incisif, la vision claire.
À ceux qui craignaient la mise en place d’un parti godillot prêt à avaliser les yeux fermés les directives gouvernementales, l’eurodéputé leur montre à l’inverse l’image d’une formation politique désireuse d’être une force de proposition. Au passage, il ne se prive pas de se payer la tête de l’ancienne majorité au pouvoir, fustigeant « l’UMP-FN » et ses errements doctrinaux.
Le bon élève : Jean-Marc Ayrault
Faire bloc devant la tempête. Le mot d’ordre était sur toutes les lèvres les trois jours durant. Seulement quelques mois après l’alternance qui a vu la gauche revenir aux affaires, les sourires du 6 mai semblent déjà oubliés. Depuis ? Les mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi s’amoncellent, la croissance est toujours en berne, et le gouvernement peine à rallier l’opinion publique. La méthode de l’ancien professeur Ayrault divise. Privilégier la concertation et la négociation dans une situation de crise où l’urgence est devenue un horizon indépassable, beaucoup d’électeurs y voient-là le marqueur des tâtonnements d’un gouvernement « d’amateurs ». Outre l’intronisation d’Harlem Désir à la tête du parti, il a donc beaucoup été question de sauver le soldat Ayrault. Et là, la machine solidarité gouvernementale n’a connu aucune panne de (pro)moteur.
Entre un Manuel Valls qui s’est dit « fier d’être ministre d’Ayrault », un Harlem Désir qui a mis en avant « l’honnêteté d’un vrai militant qui a la justice sociale chevillée au corps », et une Martine Aubry « principale soutien de Jean-Marc Ayrault », le premier ministre a vu les leaders de la gauche française faire corps avec son action. Fort de ce soutien unanime, son discours n’en a été que plus combatif. Rappelant les envolées d’un certain Émile Zola, il « assume et revendique sa méthode ». Sans prêter le flanc aux critiques, l’ex-maire de Nantes vante même « le nouveau modèle français ».
Le verbe se fait haut, l’attitude tranchée, le peu charismatique chef de gouvernement fait sa mue à Toulouse. Au placard « Mister Nobody » comme l’ont surnommé certains médias, Jean-Marc Ayrault absorbe l’épaisseur de sa fonction. Et refuse toute concession :« Nous choisissons d’être audacieux en actes plutôt que radicaux en paroles ». Le budget 2013 ? Nécessaire face à la crise. La justice ? Une priorité gouvernementale. Le dialogue social ? Un incontournable. La transition énergique ? Déjà commencée. Bref, le chef de gouvernement entend mener l’agenda politique et l’a fait savoir.
La position du Parti socialiste
François Mitterrand disait à son époque que « dans l’opposition, on s’oppose sans concession ». Mais qu’en est-il de l’attitude à adopterlorsqu’on est dans le camp adverse. C’est toute la problématique que devra résoudre le Parti socialiste sous mandat Désir. Chambre d’enregistrement de la majorité gouvernementale au risque de perdre du crédit ou authentique force de proposition auprès d’un État PS partenaire, quitte à provoquer une certaine cacophonie ? Difficile à trancher.
Une première réponse a été apportée fin octobre lors de ce congrès. Pour son discours inaugural en tant que patron de Solférino, Harlem Désir, s’il a bien entendu marqué son soutien inconditionnel à l’action gouvernementale, n’a pas manqué de prendre ses distances sur certains dossiers. « À tous ceux qui prédisent ou qui redoutent un parti godillot, je dis : « vous allez être surpris » ».
Finie donc l’image rassembleuse, consensuelle, presque lisse du député européen – une rengaine déjà jouée lors de l’intronisation à la tête du PS d’un certain François Hollande ? Sur deux points en tout cas il s’est avancé, bien plus que ne l’avait fait le gouvernement. Non seulement Harlem Désir a promis la fin du cumul des mandats, cette patate chaude que le PS n’arrive pas à digérer depuis des années, et le droit de vote des étrangers aux élections locales malgré quelques réticences de certains élus. L’avenir nous dira si ce n’était que des mots ou une véritable feuille de route politique.
L’autre congrès : la mobilisation dans la rue
Avec ses quatre mille invités, ses nombreux ministres et ses cohortes de journalistes, le congrès du Parti socialiste était trois jours durant le lieu incontournable pour qui veut manifester son mécontentement face au gouvernement. Et à l’heure d’une rentrée sociale sous pression, il est faible de dire que la grogne est étendue. En 72 heures, plusieurs manifestations se sont succédé, aux mots d’ordre disparates mais à la revendication similaire : « Le changement, c’est pour quand ? ».
En marge du grand rendez-vous socialiste, quelques centaines de personnes ont donc battu le pavé. À l’intersyndicale de Sanofi, entreprise menacée par un plan de départs volontaires malgré un bilan financier positif, se sont rajoutés les forces d’extrême gauche (Front de Gauche, NPA, Attac), les représentants des principales centrales syndicales ainsi qu’une poignée d’employés de France 3 région, eux aussi en proie à un plan d’économie.
Plus inattendu : près de trois cents patrons surtout de PME/TPE se sont mobilisés sur l’île du Ramier afin de dénoncer la tonte fiscale : « Nous ne sommes pas des moutons, nous sommes des patrons ». Un mouvement qui rappelle en creux l’appel des Pigeons, du nom de ce collectif d’entrepreneurs du web qui a réussi à faire reculer le gouvernement sur la taxation des plus-values concernant les cessions d’actions.
Enfin, autre contestation, interne cette fois-ci : l’aile gauche du parti. S’il n’y a guère eu de marche ou de slogan martelé au gré des prises de parole, les représentants du courant ont toutefois réussi à s’imposer dans les débats. Seulement, en dépit d’une place plus grande dans le prochain bureau politique grâce notamment aux très bons résultats de la motion 3, la question du leadership risque de les fragiliser. Benoît Hamon, la surprise du congrès de Reims ? Emmanuel Maurel, le trublion du congrès de Toulouse ? La problématique n’est pas mineure, car alors que le premier a accepté de rallier la motion 1 d’Harlem Désir en sacrifiant ainsi sa position de voix dissonante dans le parti, le second, peu connu du public, reste lui libre de toute parole et peut regrouper sous son aile la frange dissidente.