Le samedi 25 février, le collectif numérique Anonymous appelait une nouvelle fois à manifester contre la loi ACTA, et ce dans toute l’Europe.

Comme pour la date précédente, le 11 février, la mobilisation a été massive. Pourquoi ? Il faut d’abord se poser la question de ce qu’est précisément le traité ACTA et ses conséquences potentielles sur la propriété intellectuelle pour comprendre cette levée de boucliers.

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ACTA est l’acronyme du nom Anti-Counterfeiting Trade Agreement, soit ‘Accord Commercial Anti-Contrefaçon’. De nombreux citoyens, des fournisseurs d’accès Internet (FAI) ainsi que certains députés, comme ceux de la Pologne, le dénoncent comme un traité liberticide et peu démocratique.

La rédaction nébuleuse d’ACTA

En effet, les négociations autour de l’ACTA se sont faites entre les principaux acteurs économiques concernés, en contournant les Parlements et le processus démocratique. Elles ont été tenues secrètes longtemps : les premières versions du texte ont été produites en 2007, mais le texte d’ACTA n’a été rendu public qu’en 2010 par la Commission Européenne.
Cette absence de transparence dans l’élaboration du texte lui a d’ailleurs valu d’être ensuite dénoncée par le Parlement Européen.

Ce n’est cependant pas la seule chose que l’on peut reprocher au texte de l’accord. Son but est de lutter contre la contrefaçon en mettant l’accent sur la propriété intellectuelle dans les Etats signataires. Ces lois concerneraient potentiellement tous les domaines de l’innovation, ce qui pose plusieurs questions liées au concept même de “propriété intellectuelle”.

Par exemple, dans le secteur pharmaceutique, dont certains laboratoires ont été directement impliqués dans les négociations, ACTA renforce les barrières autour des molécules médicamenteuses. Techniquement, le traité rallongerait les brevets pharmaceutiques à l’infini, ce qui implique que les formules ne tomberaient plus dans le domaine public. Il serait donc impossible de fabriquer des génériques, moins onéreux, puisqu’utiliser une formule, forcément brevetée, relèverait de la contrefaçon. Dans ce cadre, quid de l’accès des pays en développement à de tels soins ?

“L’information veut rester libre !”

Plus près des raisons de la mobilisation majoritairement jeune et connectée autour d’ACTA, les questions de diffusion de la culture font aussi débat.
En effet, la structure du média Internet et son usage actuel ont permis et permettent toujours la production et la diffusion de la connaissance de manière large et non-commerciale, avec le fameux processus de peer-to-peer, où chaque usager du Net est potentiellement à la fois partageur (“seeder”, ou semeur) et receveur du fichier en question. C’est l’opportunité de diffuser largement la connaissance, quelle qu’elle soit – musique, documents vidéo, archives, mais aussi information – pour arriver selon certains à un accès plus démocratique de tous à la culture.

Mais pour les ayants-droit, comme par exemple ceux de l’industrie culturelle, l’accès à ces produits ne peut se faire que dans un cadre commercial. Le traité ACTA protège ainsi leurs droits à la propriété intellectuelle des oeuvres… et introduit une sanction potentielle pour toute personne partageant du contenu ‘piraté’, dans le cadre d’une “utilisation commerciale” pour le moins mal définie dans le traité…

Ces conditions posent la question même du piratage : pirate-ton en échangeant des fichiers dans un cadre amical, par exemple ? Dans un contexte où la majorité de la musique produite est accessible gratuitement sur Internet, qu’entend-on par “usage commercial” ?

Les internautes mobilisés contre ACTA, majoritairement partisans d’un usage politique d’Internet, entendent bien remettre en cause les monopoles commerciaux des grandes entreprises culturelles. Mais reste à trouver un modèle de rémunération efficace des auteurs et artistes indépendants.

Les fournisseurs d’accès à internet, nouvelle milice ?

Les conditions d’application du traité s’appliquent également aux fournisseurs d’accès à internet : elles prévoient qu’ils régulent eux-même les infractions de leurs usagers envers la propriété intellectuelle… et soient en mesure de fournir aux ayants-droit, en cas de soupçon, les données personnelles provenant des usagers mis en cause, sans décision préalable d’un juge. Une atteinte à la vie privée et aux droits de l’homme d’autant plus inquiétante qu’elle est assortie de la possibilité de sanctions pénales qui contournent – encore – le processus démocratique, puisqu’elles proviendraient directement d’ACTA… sans ratification légale.

Pour lutter contre ACTA, la mobilisation s’organise au niveau européen. Kader Arif, conseiller municipal à Toulouse et député européen, a d’ailleurs démissionné avec fracas de son poste de rapporteur européen pour le texte. Il dénonce ainsi une remise en cause des libertés individuelles et refuse de “participer à [cette] mascarade”. En Pologne, les députés ont refusé de ratifier le texte, appuyés par une mobilisation civile sans précédent. En France cependant, l’opinion semble plus passionnée par les élections présidentielles que par les libertés numériques… Tout un travail d’éducation à ces questions reste à faire.

Pour aller plus loin

Le texte de l’accord en français

La page de l’Union Européenne sur ACTA

La page Wikipédia de l’accord

Divers articles d’Owni.fr à propos d’ACTA :

Un article du pure-player toulousain Carré d’Info sur la démission de Kader Arif

Une analyse approfondie d’ACTA par le site français la Quadrature du Net

Le blog de FDN, un fournisseur d’accès Internet qui réfléchit sur la question de la neutralité du réseau