Alain Garrigou, auteur de l’ouvrage L’ivresse des sondages et directeur de l’observatoire des sondages, est LE spécialiste en la matière. Pour ce grand sceptique, les annonces chiffrées publiées chaque jour dans les journaux n’ont pas plus de crédibilité que les prédictions d’une boule de cristal . En visite à l’Arsenal mardi dernier, il a exposé aux étudiants les raisons de sa lutte contre cette « industrie mensongère ».
Alain Garrigou n’a pas froid aux yeux, peu importent les plâtres qu’il essuie (attaque pour diffamation à de multiples reprises, mise à dos de tout le champ politique « Je ne vais pas me laisser intimider par un petit prof de fac. » dixit le conseiller médiatique de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson…). Non, Alain Garrigou ne se laissera pas intimider.
Une lutte doit être clairement définie et intériorisée avant d’être menée, Alain Garrigou l’a bien compris. Dans un univers familier d’amphithéâtre, ce professeur à l’Université de Nanterre a informé son jeune public de la façon la plus pédagogique qu’il soit, par des images et des métaphores lors de sa conférence mardi dernier à l’Arsenal.
La fabrication du chiffre
« Frauduleux », « mensonger », les termes ne sont pas tendres, et les explications qui s’ensuivent laissent songeur sur cette industrie avide de chiffres à publier et à encaisser. L’explication est simple : nous lisons chaque jour des chiffres ; mais comment les croire lorsqu’on ne connaît pas les conditions de leur production ?
La face visible de l’iceberg nous annonce une stricte égalité d’intention de vote entre Nicolas Sarkozy et François Hollande (33% chacun), mais ce que l’ »IFOPJDD » oublie de nous dire, c’est que ce sondage a été produit en supprimant la marge de choix des candidats de droite. Autrement dit Dominique de Villepin et Marine Le Pen ne faisaient pas partis des choix possibles ; un tel succès pour Nicolas Sarkozy se comprend dès lors facilement.
Et quand l’arrangement préalable ne fournit toujours pas de résultat satisfaisant, la méthode radicale s’emploie à modifier les chiffres en aval. En effet, « l’Elysée est intervenue pour baisser les résultats qui annonçaient 9% pour Bayrou et 8% pour Villepin » accuse le spécialiste. Sans parler des résultats qui sont si décevants que les agences de sondages se font le luxe de ne même pas les publier. Une manipulation dévoilée au grand jour, de quoi échauffer en effet quelques esprits hauts placés…
« La démocratie ne peut se satisfaire de ces mœurs »
En dépassant l’accusation de « magouille » du résultat, l’effet même que peuvent induire les sondages est dangereux, selon Alain Garrigou. Le fait de croire qu’on connait l’avenir aurait tendance à modifier notre comportement. Un exemple simple est mis à l’appui, celui des météorologues forçant un peu trop sur l’annonce d’un temps sublime pour le lendemain afin de satisfaire toute l’activité touristique de la côte, menant au casse-pipe des plaisanciers enthousiasmés par l’annonce d’une belle journée et finalement pris par la tempête « omise » au bulletin météo.
Une chose est sûre donc, autant se méfier des sondages, car ils perturbent le jeu démocratique et « la démocratie ne peut pas se satisfaire de ces mœurs ». L’effet d’annonce du sondage peut avoir deux conséquences : un comportement de suiveur chez l’électeur, qui aura tendance à voter pour le candidat le plus en vogue dans les sondages afin de s’assurer d’un vote « utile ». Au contraire, face à des résultats déplorables pour l’un des candidats, la tendance empathique de l’électorat peut-être alors titillée et tentée d’offrir une voix salvatrice au retardataire.
Quand on sait que la page Horoscope des journaux est la plus sollicitée, nul ne peut nier notre amour pour les prédictions plus ou moins bidons, face à l’angoisse de l’inconnu. Mais méfions nous… « Ces oracles des temps modernes » ne doivent pas nous faire oublier nos convictions. Et rappelons-nous qu’à l’âge Antique, on disait déjà que lorsque deux devins ouvraient un animal pour lire dans leurs entrailles, ils ne pouvaient s’empêcher d’éclater de rire…
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