Katerina Ropaiti a 21 ans. Elle est originaire d’Athènes où elle habite avec ses parents. Étudiante en comptabilité et en finance à l’Athens University of Economic and Business, elle revient d’un Erasmus à Toulouse. « Une période magnifique de ma vie », décrit-elle. Malheureusement à son retour en Grèce, la situation était très différente.

Univers-Cités : Comment décrirais-tu ta situation actuelle et celle de ta famille ? Quelles ont été les conséquences de la crise économique sur ta vie quotidienne ? Tes études ? Ta consommation ?

On peut dire que ma famille a de la chance. Mes parents travaillent encore et ne craignent pas de perdre leur emploi, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d’entreprises ou de commerces. Malgré tout ils sont obligés chaque mois de payer un impôt nouveau. En conséquence, même s’ils ont trente ans d’ancienneté dans leur métier et qu’ils sont propriétaires de leur maison, ils font très attention à ce qu’ils dépensent. Beaucoup plus qu’avant.
En ce qui me concerne, je travaille de temps en temps comme la plupart des étudiants et je fais attention à mon argent. Heureusement que l’éducation est gratuite en Grèce, ainsi la crise n’a pas mis en péril mes études.

Les Grecs auraient-ils pu prévoir cette crise ? Les changements ont-ils été brutaux ?

Non les Grecs n’auraient pas pu prévoir cela. La crise est mondiale, pas grecque, italienne ou portugaise. Elle frappe, ou va frapper, tous les pays.
Les changements ont été très brutaux. Aujourd’hui les impôts sont si importants que beaucoup ne peuvent pas payer. L’Europe doit agir vite pour éviter le pire.

Comment les jeunes Grecs voient-ils le nouveau gouvernement ? Quel est ton propre point de vue ?

Personne ne pense que Lucas Papademos peut changer les choses. En fait, ce sont l’Allemagne et le FMI qui décident de tout. Après son élection, la situation n’a pas changé : impôts élevés, augmentation du chômage (particulièrement pour les moins de 35 ans), pas d’accès aux soins pour les retraités, etc.

Que penses-tu de l’accord du 27 octobre avec l’Union Européenne ? Les Grecs perçoivent-ils le plan de rigueur comme une injustice ou une nécessité pour sortir de la crise ?

On comprend que la situation est critique : instable et dangereuse. On a conscience qu’on ne peut plus vivre comme avant et qu’il va falloir changer beaucoup de chose. Mais ce plan de rigueur qui vient s’ajouter à tout ça … c’est la démolition complète de nos rêves. J’ai 21 ans et je suis effrayée par mon avenir. Le plus probable est que je reste chez mes parents jusqu’à 30 ans parce que je n’aurai pas de travail, ou pas assez d’argent pour vivre seule. Si par chance je trouve du travail, je serai payée 560 euros, c’est-à-dire le salaire minimum. Je devrai travailler jusqu’à 65 ans, pour prendre une retraite trop faible. Voilà mon futur en Grève. Ça me rend furieuse …

Pour toi l’Union Européenne est-elle responsable de cette crise ? Penses-tu quelle puisses aider la Grèce à s’en sortir ?

L’Union Européenne n’est pas à l’origine de la crise, notre pays a fait beaucoup d’erreurs. On a emprunté trop d’argent, on a accepté la corruption de la société et on a continué à voter pour les mêmes politiciens corrompus… Évidemment il faut qu’on change nos mentalités. Néanmoins, l’Europe a sa part de responsabilité dans la situation aujourd’hui. Et la action actuelle va nous tuer. Certes, le contrôle des finances est nécessaire, mais le but de l’UE est très éloigné de nos problèmes de pauvreté quotidiens. Malheureusement, l’UE nous traite comme des chiffres. Ses décideurs ne réalisent pas que chaque décision a un impact tragique sur la vie de tous les jours. Je ne sais pas où ils veulent en venir, mais la méthode qu’ils suivent va nous conduire vers une profonde récession.

As-tu perçu un décalage entre la médiatisation de la crise grecque en France et la réalité sur place ?

A mon avis, il y a une fausse perception de la situation grecque pas seulement en France, mais en Europe en général. Les médias présentent les grecs comme des paresseux, des personnes qui ne travaillent jamais mais qui demandent toujours plus en plus de confort et de primes.
La vérité, c’est que dans le secteur public, la plupart des employés ne travaillent plus que 8 heures par jour. Ils ne sont pas payés beaucoup mais ils travaillent en permanence, sans la peur du licenciement. De manière générale il y a trop de problèmes dans le service public, souvent à cause d’eux. Mais la plupart des Grecs sont employés par le secteur privé : eux travaillent 9-11 h par jour, avec des heures supplémentaires souvent non payées et un salaire minimum de 600 euros. Je mentionne tout cela parce que je pense que les médias veulent présenter un profil vraiment différent du Grec d’aujourd’hui. Et souvent, la désinformation c’est pire que de ne pas être informé du tout.

Y-a-t-il une réelle mobilisation politique de la population ? La mobilisation des jeunes est-elle si forte et si politisée comme on nous le montre depuis la France ? Es-tu toi même politisée ? Quel est le rôle des organisations et des syndicats dans la mobilisation politique ?

La mobilisation de la population est très forte. Malgré la situation économique, beaucoup de gens participent aux grèves et aux manifestations. Parce que tout le monde a compris que la crise, ce n’est pas seulement un problème politique ou un problème de pauvres, c’est notre problème à tous. On a décidé d’y faire face unis. Malheureusement, les partis politiques n’ont pas encore compris cela et restent dans l’affrontement.
Dans ceux qui participent aux manifestations, il y a beaucoup de jeunes politisés. En général tout se passe pacifiquement, mais il y a toujours 100-150 personnes sur des milliers qui font des dégâts. Ces personnes sont le plus souvent des anarchistes ou des gendarmes en civil (un phénomène habituel dans la police grecque). C’est terrible, parce qu’à cause d’eux, une manifestation calme devient dangereuse. Le rôle des syndicats c’est de contrôler, d’organiser la manifestation et aussi de mobiliser les individus. Mais malheureusement, parfois ils préfèrent servir leurs intérêts..

Face à cette situation, as-tu l’impression que la population est solidaire, ou au contraire qu’il y a une montée de l’individualisme ? As-tu vu une montée du racisme ?

Oui, j’ai bien peur qu’il y ait plus de racisme. La Grèce se trouve dans une position géographique idéale entre trois continents. Alors chaque personne qui veut émigrer en Europe fait son premier arrêt en Grèce. Il y a trop de migrants qui vivent ici, mais pas assez de travail pour eux. Ces personnes sont donc obligés de vivre en-dessous du seuil de pauvreté. On observe aussi une montée de la criminalité.
Aujourd’hui, les Grecs ont peur les uns des autres et deviennent xénophobes.

Comment vois-tu ton avenir en tant que jeune diplômée ? Envisages-tu d’émigrer à l’étranger ? Si oui, où ?

Les chiffres du chômage augmentent chaque jour et malgré mes études, il est assez probable que je ne trouve pas du travail.
Je ferai quelques efforts pour trouver un emploi en Grèce mais si ça ne marche pas, j’irai chercheràa l’étranger. Peut-être en Angleterre, en France ou en Belgique. La crise est un phénomène global et on doit y être préparés. Cela va durer un moment.