Le cinéma Utopia de Toulouse organisait le 22 novembre une projection/rencontre autour des Panthères Noires d’Israël, mouvement radical né dans les années 1970 pour lutter contre les discriminations frappant les Juifs orientaux (Mizrahim), qui affichaient une solidarité avec la résistance palestinienne. Membre fondateur présent lors de la rencontre, Reuven Abergel voit l’injustice sociale en Israël et l’occupation des territoires palestiniens comme deux facettes d’un même problème.

Reuven Abergel, membre fondateur des Panthères Noires d'Israël

« Ils ne sont pas aimables », s’insurgeait Golda Meir, la « Dame de Fer » de la politique israélienne, alors Premier ministre. « Ils », ce sont les Panthères Noires d’Israël, jeunes « Juifs arabes » de la seconde génération d’immigrés du Maghreb et du Moyen-Orient, vivant dans le quartier défavorisé de Mousrara, à Jérusalem. De mars 1971 jusqu’à la Guerre du Kippour en 1973, ils font trembler l’establishment ashkénaze (Juifs originaires d’Europe centrale et orientale) d’Israël, qui qualifie les Juifs orientaux de « bêtes sauvages ». Multipliant les manifestations et les actions parfois violentes, ces Mizrahim vont s’inspirer des « Black Panthers » américains pour mettre fin à l’oppression sociale et économique dont ils sont victimes.

L’Utopia diffusait le documentaire de 2003 d’Elie Hamo et Sami Shalom Chetrit, dans lequel les principales figures du mouvement, parmi lesquelles Saadia Marziano et Charly Biton, évoquent leur combat passé et portent un regard critique sur la politique israélienne. Le film était suivi d’un débat avec deux membres de Tarabut-Hithabrut (« Rassembler » en arabe et en hébreu), Reuven Abergel et Johaynna Saïfi. Ce collectif fondé en 2006 fédère Juifs et Palestiniens d’Israël-également appelés Arabes israéliens-, en lutte pour la justice sociale et contre la colonisation des territoires palestiniens. Reuven Abergel a milité avec les Panthères Noires, puis participé à la fondation de Tarabut-Hithabrut en 2006 et de l’IJAN (Réseau juif antisioniste international). Johaynna Saïfi est une Palestinienne d’Israël habitant à Akka-ou Akko.

« Le paradis, nous l’avons laissé derrière nous »

« Jusqu’en 1945, il n’avait pas un seul sioniste dans les pays arabes, le mouvement était dirigé par des Juifs européens. On a fait appel à nous pour des raisons démographiques : 3,5 millions de Juifs d’Europe orientale avaient émigré aux Etats-Unis, et plus de 6 millions ont péri pendant l’Holocauste », affirme Reuven Abergel. Natif de Rabat au Maroc, il a 7 ans lorsque sa famille émigre en Israël suite à la guerre d’Indépendance de 1948-ou « Nakbah » [« catastrophe » en arabe, ndlr]. Selon lui, les pays occidentaux, comme la France ou l’Allemagne, désireux de « se racheter », vont appuyer les sionistes. Ils instillent dans les communautés juives des pays musulmans une « atmosphère de promesses et de peur » pour les pousser à émigrer en Israël, avec la complicité des autorités de ces pays.

Rapidement, les Mizrahim déchantent: « Nous avions quitté nos pays sans aucun bien, croyant trouver le paradis. Mais le paradis, nous l’avions laissé derrière nous», raconte Reuven avec amertume. Ils sont confrontés à un racisme féroce d’une partie de la communauté ashkénaze. En 1949, un article du célèbre quotidien Haaretz parle d’eux comme d’une « race primitive et ignorante, sans aucune spiritualité, dont le niveau général n’est guère plus élevé que celui des Arabes ».

La plupart d’entre eux se retrouvent dans des zones urbaines de développement, telles Mousrara, à Jérusalem. Ce quartier dans lequel s’installent Reuven Abergel et sa famille était peuplé d’Arabes avant leur expulsion en 1948. Sans eau ni électricité, de nombreux bâtiments insalubres abritent des familles nombreuses. Ainsi, au début des années 1970, 80% des Israéliens dépendant des aides sociales sont Mizrahim. Comme la plupart des membres de sa communauté, Reuven ne poursuit pas d’études et travaille dans le bâtiment.

« Pas d’assouplissements réels »

Dans ce contexte, des jeunes de Mousrara qui se nomment Panthères Noires cherchent à attirer l’attention du gouvernement. Des dizaines de manifestations sont organisées, allant parfois jusqu’à l’affrontement violent avec les forces de l’ordre. « L’Opération du lait » est restée célèbre : en mars 1972, les Panthères Noires volent les bouteilles de lait devant les portes du quartier aisé de Rehavia et les redistribuent dans les quartiers pauvres. « Le pays était au bord de la sécession entre Ashkénazes et Mizrahim », rappelle l’un des leaders du mouvement dans le film. Certains Panthères Noires sont emprisonnés, avant que le groupe ne soit séparé au moment de la guerre du Kippour. Nombre d’entre eux poursuivent leur combat par l’activisme ou la politique.

Reuven porte un regard désabusé sur ces années : « il n’y a pas eu d’assouplissements réels ». Selon lui, la naissance du parti ultra-orthodoxe Shass en 1984, visant à représenter les Mizrahim, n’a fait que participer à l’écrasement des contestations sociales en focalisant l’attention sur les questions religieuses.

« On ne parle pas du ventre affamé quand on est menacé de mort »

« Le parti sioniste nous a déclaré ennemis d’Israël car nous parlions de lutte des classes », raconte Reuven. Selon les Panthères Noires, le gouvernement maintient un climat de guerre permanente avec les pays arabes pour éviter la contestation intérieure. « En Israël, on nous dit que les Juifs sont haïs du monde entier. On ne parle pas du ventre affamé quand on est menacé de mort ».

Entre 1972 et 1974, les Panthères rencontrent à plusieurs reprises des représentants palestiniens. « Nous avons compris leur combat, et que notre solution dépendait de la leur. Nous aurions voulu développer ce partenariat, mais le gouvernement nous en empêche », déplore Reuven. Il raconte l’histoire d’un des fondateurs du Matzpen [parti d’extrême-gauche antisioniste israélien actif jusqu’en 1983, ndlr], qui, au lendemain de la Guerre des Six Jours en 1967, a adressé une lettre au maire d’Hébron pour léguer sa maison aux Palestiniens, alors que les colons juifs investissaient la ville. Son appel est resté lettre morte. « Si l’occupation prend fin aujourd’hui, il y aura une guerre civile en Israël », prédit gravement l’ancien Panthère Noire.

« Faire le lien entre justice sociale et situation politique »

Johaynna Saïfi ne croît pas que les « indignés » de Tel-Aviv puissent changer les choses : « Leurs revendications concernent les élites israéliennes. Leurs leaders ont refusé de parler d’occupation pour éviter la dispersion du mouvement. Or le problème du logement en Israël vient du fait que l’argent va à la construction de colonies », affirme la jeune collègue de Reuven Abergel au sein de Tarabut-Hithabrut.

« En 2011, il n’y a pas de vraie gauche en Israël », analyse Reuven Abergel. Tarabut-Hithabrut vise à faire converger les luttes des Juifs orientaux et Palestiniens d’Israël et des Territoires. Revendiquant plus de 1.000 inscrits, cette structure sans hiérarchie ni financement d’ONG est active, entre autres, dans l’éducation populaire, les campagnes d’emploi et la solidarité avec les Palestiniens.

« Les Israéliens ont du mal à comprendre comment des Juifs et des Arabes peuvent travailler ensemble », explique Johaynna. « Il faut reconnaître que nous faisons partie d’un espace arabe. Moi je suis de cette culture, je n’ai pas à changer. Si je veux oublier que je suis Arabe, les « Blancs » me le rappellent », déclare Reuven Abergel en sortant sa carte d’identité israélienne. A la mention « nationalité », celle-ci indique « marocaine ».

Pour plus d’informations, une interview de Reuven Abergel

Cette rencontre était organisée par l’association française « Les ami-e-s de Tarabut ». Pour plus d’informations sur leurs activités: [email protected]