Les « Investissements d’avenir » sont de retour. Ces appels à projets auprès des universités, dont l’enjeu n’est rien moins qu’une redéfinition de la carte de l’enseignement supérieur et de la recherche pour les dix années à venir, vont opérer une deuxième vague de sélection en décembre. Candidate malheureuse en juillet, Toulouse n’a pas convaincu le jury des Idex, pôle principal des Investissements d’avenir. Alors que le projet reste à revoir, les discussions entre ses tenants s’enflamment, opposant volonté d’évoluer vers une université « à l’américaine » et dénonciation d’une compétition absurde.

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Coup de tonnerre dans le ciel de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) à Toulouse. Lors de la première vague de sélections en juillet, le projet Toulouse-Idex (Tidex) présélectionné par le jury des Initiatives d’Excellence (Idex), est recalé. Le saint Graal de l’excellence, objet d’autant d’espoirs que de critiques dans la communauté scientifique, est raflé par Bordeaux, Strasbourg et Paris Sciences et Lettres.

Au Pôle Régional d’Enseignement Supérieur (PRES) de Midi-Pyrénées et dans les labos toulousains, la déception est grande. Et pour cause : les Idex, clé de voûte du système visant une « révolution culturelle de l’université française » souhaitée par l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse, pèsent 7,7 milliards d’euros. Une dotation, principalement en capital, que se répartiront entre 5 et 10 sites lauréats afin de rivaliser d’excellence avec les plus grandes universités du monde. Toulouse espère ainsi ramasser 1,2 milliards d’euros, un capital générant entre 30 et 40 millions d’euros d’intérêts par an. En décembre, le match retour la mettra en concurrence avec 10 autres sites et la finale aura lieu en février. D’ici là, la tactique à suivre est loin de faire l’unanimité.

Toulouse, parent pauvre des Investissements d’avenir?

Pour ceux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents, quelques explications: en 2010, le gouvernement lance le Grand Emprunt, un plan d’investissement sur dix ans. Le volet destiné à l’ESR, baptisé « Investissements d’avenir », prend la forme d’appels à projets représentant 21,9 milliards d’euros. L’Agence Nationale de la Recherche (ANR), gérante du financement de la recherche publique et privée, pilote ces appels à projet, qui se répartissent en plusieurs pôles avec chacun des jurys spécifiques. Les Equipements d’Excellence (Equipex) financent les infrastructures des laboratoires les plus performants, les Laboratoires d’Excellence (Labex) récompensent les meilleurs projets scientifiques. Quant aux Idex, elles labellisent un regroupement d’universités et écoles publiques d’un site régional, plus ou moins centralisé. Figurent aussi des projets dans des domaines plus spécifiques, tels que les Instituts hospitalo-universitaires, qui associent un établissement de santé, une université, et des centres de recherche.

Jusqu’ici, la Ville Rose a connu des succès en demi-teinte: un seul Equipex (elle en a obtenu trois autres en association avec d’autres régions), trois Labex sur douze proposés, avec dans ce cas l’échec surprenant de la prestigieuse Toulouse School of Economics. La non-sélection du projet Tidex a d’autant plus fait fait grincer des dents. Pour Martin Malvy, président du conseil régional Midi-Pyrénées, c’est «une déception et une incompréhension énormes».

Les raisons d’un échec

Au cœur du problème : la gouvernance du site toulousain, qui implique une profonde transformation du fonctionnement des facs et de leurs rapports. Le projet « Tidex 1 » prévoyait une supervision à deux têtes, répartie entre une « Fondation Tidex » gérant le périmètre d’excellence, et une Université Fédérale de Toulouse (UFT), venant remplacer l’actuel PRES. « Cette solution n’a pas convaincu le jury, qui l’a estimée trop complexe », déclare Marie-France Barthet, vice-présidente du PRES. «Au vu des résultats de la première vague, il y a une nette préférence pour les sites fusionnés », note Philippe Raimbault, directeur de l’IEP Toulouse. Même constat chez Marie-Christine Jaillet, vice-présidente du conseil scientifique à l’Université du Mirail (UTM) : « Derrière l’enjeu de l’Idex, il y a celui de la gouvernance. Pour faire des sites visibles au niveau mondial, le ministère cherche à réunifier. Ce qui pose la question de la collaboration entre établissements… »

D’autres reproches ont été adressés au projet toulousain : une place insuffisante aux écoles d’ingénieurs, le projet « trop complexe » de créer une Ecole Normale Supérieure destinée à la formation d’enseignants et de chercheurs, et un ancrage insuffisant dans les réalités économiques de la région. Malgré tout, « 80% du dossier est bien défini et ne devrait plus bouger pour l’Idex 2 », selon Marie-France Barthet.

Compétition contre coopération

Pourtant, moins de deux mois avant la date fatidique du 8 décembre, le mode de gouvernance ne fait pas de consensus au sein du PRES Toulousain. Certaines sources évoquent des échanges musclés entre le président de l’UT1 Bruno Sire et celui de l’UTM, Daniel Filâtre. Le processus consultatif est critiqué pour son manque de collégialité: « Il y a deux cultures très différentes : le Mirail, qui se base sur une large participation, et l’UT1, faisant surtout appel à des représentants élus », reconnaît Philippe Raimbault. Pour Nicolas Valdeyron, enseignant-chercheur en archéologie, directeur adjoint d’une unité mixte de recherche Mirail-CNRS, « l’Idex 1 est basé sur le modèle élitiste « Tirole-Sire », où la recherche est tirée par les prix Nobel et les médailles d’or CNRS ». Pour Marie-France Barthet, la faute à « des calendriers extrêmement serrés. Si j’étais chercheuse, je râlerais aussi ! », avoue-t-elle. « La compétition ne peut pas être le seul moteur de la recherche, il faut aussi de la coopération », résume Marie-Christine Jaillet.

En cause également, le maillage du territoire : « l’économie de la connaissance, c’est faire monter l’ensemble du niveau des étudiants, pas seulement celui de sept pôles », critique Marie-Christine Jaillet. Le risque à terme est une université à deux vitesses. Au PRES toulousain, on touche du bois pour « être dans la cour des grands ». Le 4 février dernier, Gilbert Casamatta lui-même, président du PRES, prédisait que les sites non élus « seront durablement rayés de la carte de la recherche française »

Alors que de nombreuses questions autour du projet Idex 2 restent en suspens, notamment celui de la gouvernance, rendez-vous prochainement pour un suivi des débats.