Chaque année en France, 800 000 jeunes effectuent un stage. Devenue incontournable pour les étudiants et plébiscitée par la majorité des employeurs, cette pratique est néanmoins critiquée depuis quelques années.

Si l’intérêt de bénéficier d’une expérience professionnelle avant l’obtention de son diplôme ne trouve que peu de détracteurs, des dérives sont peu à peu mises en lumière. Association indépendante, le Collectif Génération Précaire évoque une « armée de réserve de plusieurs centaines de milliers de travailleurs qui n’ont aucun droit, pas même le droit à un salaire ». Le mouvement est né sur Internet en 2005 et à dénonce la condition des stagiaires. A coup de « flash mobs » (mobilisations-éclair ndlr) et autres manifestations, le mouvement a laissé le souvenir de ces jeunes anonymes portant un masque blanc.

Membre de Génération Précaire

Le cadre légal

Suite à ces premières mobilisations, la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006 complétée par le décret du 29 juin 2006, a permis d’encadrer davantage les conditions de réalisation du stage. Chaque mois, une gratification d’un montant de 30% du SMIC doit être versée, mais celle-ci n’est obligatoire que pour les stages d’au moins trois mois. La durée maximale d’un stage ne doit pas excéder six mois. Une convention entre l’établissement d’études supérieures, l’entreprise ou administration et l’étudiant doit être signée. Elle comprend onze clauses, dont la définition des activités confiées au stagiaire, la durée de présence du stagiaire dans l’entreprise (qui ne peut excéder 35h par semaine), le montant de la gratification ou encore les conditions dans lesquelles le professeur et le tuteur du stagiaire assurent son encadrement.

Selon le Collectif, cette loi reste une pâle copie de leurs revendications : abaissement du seuil de trois mois à deux seulement, augmentation progressive de la gratification en fonction de l’année d’étude et de la durée du stage. Il avait aussi été proposé que les conflits du travail nés dans le cadre d’un stage relèvent de la compétence des Prud’hommes. Etablissements publics et ambassades ne sont toujours pas obligés d’indemniser leurs stagiaires.

Des abus dénoncés

Trois principaux faits sont dénoncés. Tout d’abord, le contenu des stages n’est pas toujours en adéquation avec le projet professionnel des étudiants, alors même qu’ils ont été créés pour les aider à se former. Dès le début de la mobilisation, une multitude d’abus a été révélée sur le site de Génération Précaire par les internautes.

Certains stagiaires sont cantonnés à la fonction café-photocopies, sans aucune formation. Les stages sont également utilisés comme variable d’ajustement, afin de réduire les coûts et certains assument le travail d’un véritable salarié, en étant sous-payés ou parfois non payés. Enfin, la précarité est au rendez-vous. En gagnant autour de 400 euros par mois (pour les plus chanceux) il est impossible de se loger et de se nourrir, a fortiori en région parisienne. Ce qui représente un nouveau frein pour les jeunes d’origine modeste, ayant jusque-là déjà difficilement réussi à financer leurs études.

Au-delà des conditions précaires, les jeunes sont rarement embauchés à l’issu des stages. Il arrive même parfois qu’on leur en propose d’autres. Nicolas, qui milite pour Génération Précaire, raconte avoir lui-même enchaîné 18 mois de stages après l’obtention de son diplôme d’école de commerce : « On sait que quand on part, un autre stagiaire nous remplace ».

En 2007, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et Xavier Bertrand, ministre de l’Education nationale, ont mis en place le Comité des stages et de la professionnalisation des cursus (STAPRO), chargé de collecter des informations sur les stages, de veiller à la bonne application des textes et d’émettre des propositions. Si cela constitue une avancée, les ministres n’en tiennent désormais plus compte. Selon le collectif, ils subiraient une pression de la part du MEDEF.

Un véritable dumping social

Génération Précaire cherche à provoquer une prise de conscience par la population salariée, arguant qu’un stagiaire qui effectue un véritable travail pour une rémunération aussi faible constitue une forme de dumping social pour eux, et participe donc à l’augmentation du chômage.

Quelques victoires juridiques redonnent peu à peu confiance aux militants. La banque LCL, jugée « stagiophage » par le Collectif, a été poursuivie par David, Parisien de 29 ans, ayant effectué trois stages d’une durée globale de 14 mois rémunéré selon les indemnités légales minimales. Il a finalement été pris en période d’essai de six mois, puis licencié. L’affaire a été présentée devant les Prud’hommes le 13 février mais le jugement a été repoussé au mois de septembre. S’il gagne, David pourrait se voir reconnaître une grande partie de son stage comme véritable emploi dissimulé, et se faire verser des dommages et intérêts. Une autre affaire avait été jugée en septembre 2006. Le chef d’entreprise a été condamné à six mois de prison avec sursis et à 25000€ d’amende pour avoir dissimulé de véritables emplois sous couverture de stage. Les cinq plaignants ont chacun reçu des indemnités de 5000€. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a reconnu ces stages comme véritable « travail clandestin », après s’être basé sur les faits révélés par une enquête de la Direction Départementale du Travail et de l’Emploi et de la Formation Professionnelle qui s’était rendue sur les lieux. Ces décisions pourraient désormais faire jurisprudence.

Les militants en attente d’une action des pouvoirs publics

Le mouvement souffre encore d’un certain manque de reconnaissance. Tout d’abord auprès des salariés des précédentes générations qui n’ont pas connu les mêmes conditions lors de leur entrée sur le marché du travail. Ensuite, de la part du MEDEF. Laurence Parisot a récemment qualifié les jeunes de «chasseurs de primes ». Elle refuse pour l’instant de répondre aux demandes du Collectif.

Toujours selon Nicolas, nombreux sont ceux qui soutiennent le mouvement : médias comme syndicats, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand au début. En fait, mis à part le MEDEF, seul l’Elysée «coince». Une concertation a été lancée le lundi 9 mars par le gouvernement afin de présenter avant l’été une politique globale et concrète de la jeunesse. L’accent devrait être mis sur « l’accès à l’autonomie », selon Martin Hirsch, Haut-commissaire à la jeunesse.

D’ici là, Génération Précaire, accompagné des militants du collectif contre la cherté du logement « Jeudi Noir », agite la menace d’un « scénario à la grecque; tous seront présents dans les manifestations de la journée d’action du 19 mars.

[/Audrey Minart/]

Ouvrages du collectif Génération Précaire :

Sois stage et tais-toi!, éditions de la Découverte, 2006.

Le Parcours du Combattant Stagiaire, éditions Mille et Une Nuits, 2007.