« Plus t’es connu par le milieu plus t’es connu par les flics et plus c’est ce que t’aimes ». Rémi, 24 ans, accepte de témoigner du quotidien d’un monde clandestin. Règlements de comptes entre crews (ndlr, équipes en anglais), vols de bombes, arrestations, travaux d’intérêt généraux, le graffeur se doit de voir son travail reconnu, sans pour autant que son visage le soit. Cet art de rue est à cette image, paradoxal.
Si cette discipline apparaît aux yeux des néophytes comme étant désorganisée, voire sauvage, la réalité est quant à elle toute autre. « A Toulouse la communauté reste cool, il y a juste des petites gué-guerres, mais les règlements de comptes appartiennent ici au passé, contrairement à Paris. L’essentiel c’est de faire partie d’un crew, car seul tu peux plus facilement avoir des histoires ». Cette rivalité exacerbée est une lutte de tous les jours. Repasser les graffs des autres pour y imposer le sien, un enjeu de puissance mais surtout de reconnaissance. « Il y a un gros côté narcissique dans tout cela. C’est un kiff, mais il y a quand même des règles. Quand on connait un blase (ndlr, le nom d’artiste du graffeur) on ne repasse pas, de même quand il s’agit d’un crew puissant ».
Cette reconnaissance est pour certains un véritable leitmotiv, notamment dans l’optique de trouver du travail. « Certains commerçants ou particuliers font appel à des graffeurs reconnus, comme ça ils sont sûrs d’avoir un bon travail qui ne sera pas repassé. Il y en a d’autres qui n’hésitent carrément pas à mettre leur nom ou leur site web en guise de signature afin de se faire repérer dans le milieu de l’infographie par exemple ».
Si le graff est moins présent dans les rues toulousaines, il le doit avant tout à une politique municipale très stricte. « Aujourd’hui tu sens que tu ne peux plus rien faire, car tout est repassé au maximum dans la semaine. Avant il y avait un réel plaisir à déambuler dans la ville pour y voir son blase, maintenant c’est fini. Même les échafaudages temporaires ou les gouttières sont nettoyés de suite. C’est dur de garder la motivation, mais du coup tout le monde s’est mis à faire du train, histoire que ton nom circule encore plus ».
Le graffeur : artiste ou vandale ?
Rémi a débuté par le tag voilà trois ans. Armé de son marqueur, il sillonnait seul les rues de Toulouse, la nuit, à la recherche de bons spots. « Pendant trois mois je n’ai fais que ça trois ou quatre heures par nuit, le plus souvent bourré. Je volais la journée des pots d’encre ou du cirage, je le faisais ensuite chauffer pour le rendre plus liquide, et ensuite je partais avec mon pot et mon marqueur ». Une activité comme une évidence, qui lui a permis au fur et à mesure de se forger une certaine réputation. « Quand j’ai débuté j’ai de suite eu le feeling et me suis demandé pourquoi je n’avais pas commencé plus tôt. Puis petit à petit mon blase a tourné et j’ai intégré un crew ».
Le graff est partout, chez tout le monde. S’il était il y a de cela quelques années cantonné au milieu hip-hop, la discipline a aujourd’hui fait des émules dans toutes les couches de la société. « Désormais tout le monde s’y met. On peut très bien croiser un petit intello en première S qui aura sa bombe dans le sac. On voit même des mecs fashion ou des punks se mettre au graff, du coup on ne sait jamais qui se cache derrière un blase ».
Si le respect du travail d’autrui est parfois présent, Rémi avoue tout de même qu’il faut aimer le « vandalisme » pour faire partie du milieu. Un côté hors-la-loi dont il se passerait bien parfois, même s’il préférerait avant tout que le graff soit plus apprécié comme à Berlin. « Là bas il y a des immenses fresques et toute la population apprécie, la mentalité n’a rien à voir. J’ai également été en Serbie il y a deux ans où il n’y avait encore aucune loi, du coup on pouvait facilement se lâcher ».
Vandale, artiste, le graffeur s’expose quoi qu’il en soit à des poursuites judiciaires. Si Rémi a pour le moment eu de la chance en ne subissant qu’un rappel à la loi, ce n’est pas le cas d’un de ces collègues. « Récemment je sais que les flics étaient à la recherche du plus gros graffeur de Toulouse. Ils en arrivaient même à ne pas arrêter les autres s’ils leur donnaient des infos. Ils ne cherchaient que lui. Il a pris 22 mois de prison ferme ». Face à cette traque des graffeurs, la police ne fait pas non plus du zèle. « Il y a des terrains comme à la fac des sciences sociales où tous les graffeurs s’entraînent. Les flics le savent et c’est rare qu’ils y arrêtent quelqu’un. A force de côtoyer le milieu, ils le connaissent un peu plus et tolèrent ce genre de choses. C’est devenu légal sans que ce le soit vraiment. »