Vendredi 1er mars 2019 signe la fin du calvaire pour Stéphan et Zena Pélissier. Après quatre ans de bataille judiciaire, le juriste albigeois a été relaxé en appel par la justice grecque qui l’accusait d’être un passeur de migrants pour avoir aidé sa belle-famille syrienne à venir en Europe. Il avait été condamné à sept ans de prison ferme lors du premier jugement. Récit d’une histoire d’amour sur fond de guerre.

Stéphan et Zena se rencontrent en 2011. En 2012, ils se marient et un an plus tard, ils ont leur première fille. Zena est syrienne. Elle vit en France depuis 2007. Quand les deux amoureux se rencontrent en 2011, c’est le début de la révolte en Syrie. En toile de fond de leur histoire d’amour, la guerre donc. Car la famille de Zena, son père, sa mère, ses trois sœurs et son frère, vivent toujours là-bas. Depuis le début du conflit, Zena et Stéphan voient leur famille deux à trois fois par an au Liban, car il n’est pas question pour eux d’entrer en Syrie.

La famille de Zena est touchée de près par les menaces que représente la dictature Al-Assad. Une de ses sœurs est mariée à un avocat, Khaled, dont le frère est impliqué dans l’opposition. Le beau-frère de Zena défend de nombreux opposants.

« Un jour, les services secrets syriens viennent chez eux pour fouiller la maison et peut-être enlever Khaled » raconte Stéphan.

Par chance, le couple n’était pas à la maison. Une fois prévenus par des voisins, Khaled et sa femme partent en Jordanie. Restent alors ses deux sœurs, son frère et ses parents dans un pays en pleine guerre.

Le père de Zena, lui, est maire d’arrondissement en Syrie. Le régime lui demande des rapports sur des personnes. Il est donc en contact direct avec les autorités. En 2014, il est enlevé en sortant du travail, ne sachant pas très bien par qui. Il subit alors des tortures, dont il n’a jamais vraiment parlé à sa famille. Le paiement d’une rançon, par la mère de Zena, libère finalement son mari.

Dès 2013, le couple propose au père de Zena de faire une demande d’asile en France. Il s’y refuse.

« Il avait l’espoir que ça s’arrête un jour. Il ne pensait pas que la révolte marcherait » souligne Zena.

Après son enlèvement dans l’été 2014, il continue à recevoir des menaces de mort sur son fils, Anas qui a alors 17 ans, ainsi que des menaces de viol sur ses filles. C’est donc à ce moment-là, en août 2014, que Zena et Stéphan vont faire une demande de visa de demandeurs d’asile auprès de l’ambassade de France au Liban. Ce sera un refus.

Quitter son pays

En juillet 2015, ils se retrouvent une nouvelle fois au Liban. « On l’exhorte de venir » assure Stéphan.

« Ils étaient désespérés de la situation. Nous, on se sentait impuissants. On n’a pas pu les aider. On part du Liban sans rien pouvoir faire. C’est fin juillet que mon père nous annonce qu’il a pris la décision de partir comme tout le monde, par la terre ou par la mer avec un bateau gonflable pour venir ici de façon illégale » explique Zena.

En 2015, entre 1000 et 2000 migrants arrivent sur les îles grecques tous les jours pour entrer en Europe. Le flux migratoire est à son maximum. Les médias s’intéressent de plus en plus à la question migratoire. Le 2 septembre, le sort de ceux qui quittent leur pays en guerre est mis en lumière par la mort sur une plage turque d’Aylan, âgé de trois ans.

Le premier plan pour la famille de Zena est d’aller au Liban prendre l’avion direction la Turquie. Mais il n’y aura pas de vol. Le billet d’avion acheté dans une agence de voyage était en réalité une arnaque. Ils se retrouvent alors plusieurs Syriens à Beyrouth. Deuxième option : prendre le bateau depuis Beyrouth pour rejoindre la côte turque, ce qu’ils vont faire. Une fois en Turquie, ils passent 8 jours à trouver un passeur. Après de nombreuses difficultés, ils réussissent à en trouver un, et informent Zena et Stephan qu’ils vont partir une fois la nuit tombée.

Ce sera une des nuits les plus longues de leur vie. Cinq heures de marche dans le noir et à travers la forêt sont nécessaires pour atteindre la rive d’où partira l’embarcation. Les portables doivent être éteints. Des personnes âgées qui ne suivent pas le rythme sont laissées en chemin. La mère de Zena se casse alors le bras.

« Ils sont tellement fatigués, ils ont tellement soifs que dès qu’ils arrivent sur la plage, il n’y a même plus la frayeur du bateau, de se noyer » insiste Stéphan.

Une soixantaine de personnes embarque alors dans un zodiac de huit mètres de long environ. Le voyage coûte 1 000€ par personne pour deux heures de traversée jusqu’à l’île grecque de Samos.

« Au bout d’une demie heure de navigation, la coque va se fissurer. L’eau va rentrer jusqu’à ce qu’ils soient complètement assis dans l’eau. Ils vont donc jeter leurs affaires. Un bateau de garde-côtes arrive. La peur est que ce soient des garde-côtes turcs. Pourquoi ? Si c’est eux, ils vous ramènent en Turquie et ce que vous avez payé, c’est perdu. Pour certains, ils ont mis leurs derniers dollars dans ce voyage » détaille Stéphan. Finalement, ce sont des garde-côtes grecs qui les récupèrent.

Pendant ce temps, à Albi où habitent Stéphan et Zena, personne ne sait encore si les membres de la famille ont réussi à fouler le territoire européen. C’est à sept heures du matin que le téléphone sonne dans le Tarn pour annoncer la bonne nouvelle. Le père de Zena lui apprend qu’il va chercher un autre passeur pour rejoindre maintenant l’Italie. Cette fois le trajet se réalise en un jour ou deux. Dépité et inquiet, le couple décide d’aller les chercher directement en Grèce pour ne pas qu’ils effectuent une nouvelle traversée.

Zena est enceinte, Stephan ira donc seul. Ils préparent quelques affaires, des médicaments et regardent la législation grecque pour savoir s’ils encourent une peine.

« On se rend compte qu’en France, ce n’est pas puni quand quelqu’un essaie d’aider ses parents ou les parents de son épouse à traverser les frontières illégalement. En Grèce, on n’arrive pas à trouver les textes, parce que Stéphan parle grec mais ne le lit pas. On se dit que ça doit être à peu près la même chose, on est en Europe et les lois doivent être à peu près harmonisées

Un trajet sous tension

Stéphan part donc d’Albi, s’arrête une nuit à Gênes. Direction ensuite Ancône en Italie, où il prendra le ferry avec sa voiture pour rejoindre la Grèce. Il faut trois jours et deux nuits de trajet pour arriver à destination. Il part le jeudi midi de France, et retrouve sa belle famille le dimanche soir en Grèce. Ils partent le lendemain matin d’Athènes pour rejoindre Patras.

Les parents de Zena ayant perdu leurs papiers dans le naufrage, ils n’ont rien pour prouver leur identité hormis un permis de conduire. Quand il paie les billets du ferry pour repartir à Ancône, on ne demande pas à Stéphan les pièces d’identité des passagers. « On pense que c’est fini, que ça y est, c’est gagné » raconte Stéphan. Mais les montagnes russes émotionnelles continuent.

Une fois dans la file, un policier les regarde. « Au fond de moi, je sais à ce moment là que c’est fini.» Les policiers considèrent alors Stéphan comme un passeur. Toutes les apparences sont contre lui. Il parle grec, a ses papiers et une grande voiture dans laquelle il transporte cinq personnes illégalement entrées sur le territoire. Ils sont mis en garde à vue. Entre 15 heures et 22 heures, la famille subit un chantage à la nourriture. Ils n’ont pas droit à un traducteur, ni même à un avocat, ou voir un médecin comme c’est le cas en France.

Finalement, un des policiers discute avec Stéphan à part. Ayant avec lui son livret de famille, prouvant qu’il est marié à Zena, il négocie avec le policier. Ce dernier explique que Patras est la plaque tournante du trafic depuis 20 ans. La pression de l’Europe les oblige à ne laisser passer personne. L’officier grec donne alors un conseil à l’Albigeois : faire passer sa famille par la route des Balkans.

S’en suit une nuit dans un gymnase où sont réunis plusieurs migrants. L’odeur d’urine et d’excréments accompagnera cette nuit passée à même le ciment. Le lendemain, la famille est jugée, condamnée, mais dispensée de peine, car les prisons sont pleines. Stéphan paie une amende à la juge. Pour lui, le calvaire semble terminé.

« C’est une joie, mais mesurée car on sait qu’on va devoir se quitter. Je l’ai vécu à l’époque comme un échec personnel », affirme-t-il.

La famille de Zena part donc le lendemain en bus pour prendre la route des Balkans. La Hongrie est un choc pour eux. Ils y sont arrêtés et violentés. Leurs empreintes sont prises de force. Les migrants y sont nombreux à se brûler les doigts pour ne plus avoir d’empreintes. Ainsi, l’accord de Dublin ne pourra pas les renvoyer vers la Hongrie s’ils atteignent d’autres pays européens.

L’arrivée en France ou le début d’un deuxième combat

Finalement, ils arrivent en France à la fin de l’été 2015. La famille enfin réunie se retrouve à Orléans. Les parents et la fratrie de Zena vivent ensuite huit mois à Albi entre septembre 2015 et août 2016. Dès leur arrivée dans le Tarn, Stéphan et Zena signalent la présence de toute la famille à la préfecture. Le préfet qui a la possibilité de passer outre l’accord de Dublin dans le cas où les personnes concernées ont des liens familiaux avec des nationaux, ne facilite aucunement le processus de demande de visa. Il décide même d’enclencher une procédure pour les renvoyer en Hongrie, comme le prévoit l’accord de Dublin.

La famille qui a traversé au péril de sa vie l’Europe pour venir en France est alors assignée à résidence. Le père de Zena doit pointer deux fois par semaine au commissariat « comme pour les criminels et les terroristes » s’insurge Stéphan. Les mis en cause ont alors 48 heures pour contester la décision.

« Heureusement, on a nos réflexes de juristes et on s’était renseignés avant sur les délai de recours. Si vous êtes sans famille ou sans personne pour vous aider, les 48 heures passent et on vous renvoie ».

Ainsi, le tribunal administratif sera saisi et cassera les actes du Préfet tarnais, lui demandant de réexaminer sa décision. Il n’en fera rien, puisque huit mois passeront sans qu’il n’agisse. En octobre 2016, les Alkhatib obtiennent enfin le statut de réfugiés pour dix ans.

« Là, on pense que le cauchemar est fini »

Les péripéties n’en finissent pourtant pas. En septembre 2017, l’avocate qui avait défendu Stéphan en Grèce lui envoie un mail annonçant que le procès de Stéphan est fixé au 9 novembre 2017. Deux ans après les faits, et sans s’y attendre, le Français encourt sept à neuf ans de prison ferme pour transport illégal en masse de personnes irrégulières.

« C’est le choc, on pensait à tout sauf à ça. Il y aussi de la révolte face à l’injustice qui nous donne l’énergie finalement de nous battre » justifie le juriste.

Le couple franco-syrien pense alors à enclencher la machine médiatique. De nombreux articles paraîtrons dans la presse régionale d’abord, puis nationale. À force d’arpenter les plateaux de télévision, ils tentent d’interpeller les pouvoirs publics. Une lettre au président Emmanuel Macron sera même envoyée. Sans réponse.

Le couperet tombe finalement en novembre 2017 : sept ans de prison ferme. Il a la possibilité de convertir sa peine de prison en amende, à hauteur de 5€ par jour, soit 13 000 €. L’amende s’élève finalement à 27 000€. Somme qu’ils ne peuvent pas payer et qui les oblige alors à faire appel.

Ce vendredi 1er mars 2019, ils apprennent que la peine est levée.

C’est le soulagement. Les parents et la fratrie de Zena habitent maintenant à Tours. La page peut être tournée et pour panser leurs plaies, les Pélissier ont écrit un livre sur leur histoire intitulé Je voulais juste sauver ma famille. D’ici quelques mois, Zena passera le barreau pour devenir avocate. Pour le futur, le couple souhaite ouvrir un cabinet pour défendre ceux qui, comme eux, se battent pour traverser les frontières.