Harlem Désir à la tête du Parti socialiste ? C’était couru d’avance. Soutenu par l’état-major de Solférino, l’ancien cacique de SOS Racisme n’avait besoin que de l’assentiment de la base du parti. Seulement, certains parmi les 173 000 adhérents du parti à la rose goûtent peu à cette intronisation sous forme de fait princier.

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L’inconnue : la participation

Jeudi 11 octobre, 17 heures dans les locaux de la Fédération du Parti socialiste 31. Sous l’œil de quelques apparatchiks-maison présents, les bureaux de vote ouvrent, « pris d’assaut » par la poignée de militants qui fait le pied de grue. Enjeu du scrutin de ce jeudi : le vote des motions, ainsi que la ratification des nouveaux statuts du PS. Toutefois une heure après l’ouverture, force est de constater qu’il n’y a pas foule pour déposer son bulletin. À peine quelques dizaines d’adhérents se sont déplacés pour s’acquitter de leur devoir. C’est plus tard dans la nuit que le taux de participation départemental tombera : 59,7 % soit un peu plus de 3 600 votants. « Pour que le parti parte sur de bons rails et que la synthèse puisse se faire dans d’excellentes conditions, il faut qu’il y ait plus d’un électeur sur deux au moins qui se déplacent aux urnes » prévenait en amont un des chefs de file du PS31. Objectif rempli donc et même plutôt deux fois qu’une si on compare aux 51 % à l’échelle nationale.

Un paradoxe que l’élection du premier secrétaire du parti majoritaire ait été boudée par une large fraction des militants ? Allons bon ! De ce scrutin à l’issue certaine, seul le taux de participation importait. Rappel des faits. En 2008, le Parti socialiste sort affaibli d’un Congrès gangrené par les chicanes partisanes et les tractations politiciennes. Pire, des soupçons de fraude pèsent sur l’élection de la première secrétaire, Martine Aubry, faisant dire à quelques commentateurs de la vie politique que le « PS n’est plus qu’un cadavre à la renverse[[http://www.grasset.fr/chapitres/ch_bhl3.htm]] ».

Trois ans ont passé, le parti de Jaurès est désormais au pouvoir et ne peut plus se permettre pareil vaudeville politico-médiatique digne de la 4ème République. « Le Congrès de Reims a laissé des traces dans l’esprit de tous les militants. On a dit « plus jamais ça ». Cette année, au vu du mode de scrutin choisi, il est impossible que l’on retombe dans ces travers » avance un autre cadre local. Mêmes intentions rue de Solférino. C’est pourquoi dès cet été, Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault ont décidé de prendre le problème à bras le corps en s’affichant derrière une motion commune. Restait donc la question du premier signataire. Harlem Désir ? Jean-Christophe Cambadélis ? Si l’ex-strausskahnien semblait tenir la corde jusqu’en septembre, c’est finalement l’eurodéputé qui fut choisi. Question de tempérament paraît-il. Mais surtout résultat d’intenses pressions venues d’en haut.

De François Hollande aux membres du gouvernement – notamment la fameuse bande des 4 – en passant par la majeure partie des éléphants, tous ont plaidé la cause Désir. L’un des critères principaux ayant présidé à leur choix : la relative transparence d’un ponte du consensus, une qualité appréciée lorsque l’on gouverne le pays. Parti godillot pour certains, force de proposition pour d’autres, le rôle du PS présidé par Harlem Désir fait déjà débat chez les experts de la vie politique française.

Victoire à la Pyrrhus ?

C’est donc ointe par la Sainte Ampoule des hiérarques du parti que la motion 1 s’avance dans l’arène politique. Entre-temps les aubrystes, les hamonistes se sont ralliés à la force dominante avec l’espoir d’avoir la part du lion au moment de la répartition des postes nationaux. Pour contenter tout ce petit monde, des chiffres presque soviétiques ont été avancés comme rapportés de la bouche d’un ténor du parti dans Le Figaro  : « La logique voudrait que la motion majoritaire obtienne 90 % des voix. […] C’est sur cette base qu’ont été calculés les grands équilibres au conseil national. Si la motion 1 fait moins de 90 %, il faudra revoir tous les calculs. Si elle fait moins de 80 %, on va dire : il y a un problème Harlem.  »

Alors problème Harlem ? Oui si l’on se réfère aux 68 % obtenus à l’échelon national par la motion « Mobiliser les Français pour le changement », 73 % en Haute-Garonne. Si officiellement ses partisans se réjouissent d’un tel résultat, il n’en va pas de même lors des discussions privées : « C’est vrai que soutenue par tous les dignitaires du parti, on s’attendait à ce que la liste menée par Harlem Désir fasse un score meilleur. C’est une victoire en demi-teinte  » analyse Eric, militant en Haute-Garonne. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir multiplié les appels à la mobilisation et tempéré les ardeurs de certains des proches du candidat qui criaient déjà victoire. À Toulouse, le 9 octobre dernier, Harlem Désir disait déjà dans un verbiage très politicien : « Il n’y a pas d’objectif de pourcentage, je ne fixe pas de seuil. Il y a cinq motions dont il faut respecter la pluralité. […] Seul le vote des militants donnera la légitimité au premier secrétaire qui sera désigné, tout en prévenant, l’enjeu n’est pas une question de personne, car cette question a déjà été réglée. »

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A l’inverse, d’autres voix se réjouissent d’un tel résultat. « Dans les derniers scrutins lors des Congrès, jamais une liste n’a réuni autant de voix sous son giron. Maintenant, l’heure est à la synthèse  » prévient une autre militante. Une prise de distance qui fait d’ailleurs écho aux propos de Malek Boutih repris dans Le Monde : « C’est une manière d’entonner un nouvel air prévisible, celui du premier secrétaire mal élu. » Et cette rhétorique faite de gloriole est reprise par tous les barons du PS. Voilà ce que la parole officielle professe : 68 % c’est une victoire écrasante, un signe d’unité et peu importe que près d’un électeur sur trois ait voté contre la ligne du parti. C’est même une preuve de démocratie : « On nous reprochait avant le vote de vouloir verrouiller. On constate à l’arrivée que le PS est un parti vivant, avec un débat entre les différentes lignes, mais que celle de la direction est bien majoritaire » expose, le porte-parole du parti au pouvoir, David Assouline. Majoritaire donc, mais pas hégémonique.

Harlem Désir et les autres ?

En France, comme en Haute-Garonne, une partie des militants ont refusé d’avaliser les choix des têtes pensantes de la rue de Solférino. Conséquence : dans le département, la motion défendue par l’indigné le plus célèbre de France, Stéphane Hessel, recueille plus de 13 % des bulletins (11,9 % à l’échelle nationale), suivie par la liste d’Emmanuel Maurel et ses 10% (13,4 %), Constance Blanchard et Juliette Méadel pour les motions 5 et 2 se partageant les miettes. Alors certes, le tiers des voix manquantes ne va influencer le jeux d’équilibre qu’à la marge lors du Congrès. Toujours est-il qu’un message clair a été envoyé à la direction du parti. Après des primaires ouvertes, il n’est plus possible de confisquer le vote des militants. « Cette décision d’en haut nous prive, de notre rôle. On ne doit pas être une chambre d’enregistrement, mais avoir un réel poids dans les décisions concernant l’avenir du parti. […] Cette pratique contrevient à mes principes et à ceux défendus par le PS » s’emporte un électeur déçu.

Anoblie par la nomenklatura du parti, sans que la base n’ait voix au chapitre, la propulsion de la motion Désir sur le devant de l’arène politique fait jaser. Principal reproche : la schizophrénie d’un PS, défenseur de la transparence et de la démocratie participative en public, mais qui préfère s’occuper de sa tambouille interne autour de quelques cadors du parti de Jaurès. Les stigmates d’une cinquième République au verni monarchique sûrement…

« En additionnant les quatre motions minoritaires, c’est un tiers du parti qui n’adhère pas à la motion majoritaire, se félicite Jérôme Guedj, figure de l’aile gauche du PS qui met en avant, la petite fronde des militants. » Au niveau local, la révolte a été plus discrète. Il faut dire que là aussi, soutenus par le maire de Toulouse, Pierre Cohen, mais aussi par Kader Arif, Harlem Désir et son équipe avaient peu de soucis à se faire quant à l’issue du scrutin.

Avant que la fumée blanche ne s’échappe du Parc des Expositions, il restait au favori la bataille du 18 octobre face à Emmanuel Maurel, leader de la motion3 « Maintenant la gauche ». Un combat à fleurets mouchetés depuis que les listes dissidentes se sont ralliées à la politique du parti… Sans surprise donc, Harlem Désir a succédé à Martine Aubry, recueillant près de 72% des suffrages contre 28% pour son adversaire. Immédiatement, le nouvel élu a appelé à l’unité du parti en envoyant un signal clair à son challenger: « Je les appellerai lui et ses amis à prendre toute leur place au sein de la future direction. » Et ils risquent de peser lourd dans les instances. Car si la victoire de la social-démocratie est indéniable, l’aile gauche du parti a réussi à tirer son épingle du jeu. Entre les hamonistes, alliés objectifs de l’eurodéputé et les représentants de la motion 3, le nouveau secrétaire aura fort à faire pour que la ligne du parti coïncide avec la politique gouvernementale.