Le téléchargement illégal est-il devenu un moyen d’élargir leur audience, ou au contraire les précipite-t-il vers la précarité ? Nous avons demandé à trois artistes amateurs et professionnels, entre 20 et 24 ans, de se prononcer sur la question…

205051_10150213152096690_502976689_8960167_6941382_n.jpgCharlie Usher, 24 ans, est compositeur professionnel (musique contemporaine). Toulousain d’adoption, il n’arrive toujours pas à vivre de son art, malgré des études prestigieuses et de nombreux prix.

Ça me rend assez furieux lorsque je repense trop à tout ce temps que j’ai passé à étudier la composition et l’harmonie dans l’un des meilleurs conservatoires d’Angleterre (le Royal Northern College of Music, Manchester) et au Canada (Banff Center), à la patine et les flon-flons sur mon CV (passé plusieurs fois sur la BBC, gagnant de plusieurs concours prestigieux), et rien, tout ça parce que je compose de la musique « obscure » pour des instruments réputés « impopulaires ». Au final, je ne peux même pas prétendre avoir la dignité de vivre de mon art, et je jongle avec les petits boulots : barman, cours de piano… je précise tout de suite : je ne prétends pas vouloir devenir riche, seulement pouvoir payer mon loyer avec de l’argent issu du talent pour lequel on me reconnaît.

J’ai donc tendance à être contre le téléchargement illégal, bien que je porte aussi un regard différent sur ce dilemme. Après tout, ceux qui téléchargent nos oeuvres ne sont-ils pas de notre côté, dans un environnement hostile à la musique contemporaine ? On a besoin du soutien de toutes les bonnes volontés. Pourquoi les gens nous téléchargent-ils illégalement ? C’est la question à laquelle nous devons tenter de répondre afin de créer des alternatives adaptées.

Beaucoup d’artistes, par exemple, ont leur propre site web où leurs oeuvres peuvent être immédiatement écoutées, ce qui est je pense un pas dans la bonne direction puisque l’artiste en a le contrôle total (c’est bien entendu mon cas). Des initiatives telles que Deezer ou encore Spotify me fascinent, car elles pourraient bien se généraliser dans l’avenir (bien que ça ne soit pas encore le top – l’un de mes amis a récemment reçu un chèque de 9 euros après 25 000 lectures !)

Loic.jpgLoïc Bodybob, 20 ans, est musicien et vidéaste amateur (musique électronique et films indépendants), et étudie à Sciences Po Toulouse.

Pour ma part, la question du téléchargement se heurte à des problèmes soulevant forcément des jugements de valeur.
D’un coté je le trouve réellement positif, car il représente un véritable moyen de résistance à l’avènement de la musique de m*****/commerciale dans nos bacs. Le téléchargement, c’est l’occasion pour tous (ou presque) de découvrir des artistes et des genres musicaux qui s’écartent de la ligne tracée par les grosses sociétés de prod. Il y a énormément d’artistes et de groupes (90% de ceux que je connais en réalité) que je n’aurais jamais pu connaitre si je n’avais pu recourir au téléchargement illégal. Et c’est en partie à travers ces artistes que j’ai pu découvrir, comprendre, et m’inspirer en musique, pour plus tard créer.

C’est aussi un réel instrument de notoriété. Je suis sûr que de nombreux groupes qui surfent sur la vague n’auraient peut-être pas pu se faire connaitre sans ça. Un bon exemple est celui de la musique reggae : c’est vraiment très dur de récupérer des vieux albums/jingles, car la quasi-totalité de la musique jamaïcaine des années 60-80 (et encore aujourd’hui) est produite sur vinyle, et n’est que très peu exportée de Jamaïque ou d’Angleterre. Ces disques ne sont plus (ou presque plus) pressés aujourd’hui, à part pour les plus connus (comme Bob Marley), qui bénéficient de rééditions sur CD. Bref, pour faire court, sans le téléchargement, je n’aurais probablement jamais connu les groupes que je considère aujourd’hui comme mes préférés, et desquels je m’inspire largement.

D’un autre côté, c’est vrai que même si ça augmente la notoriété de l’artiste, ça ne remplit pas son porte-monnaie. C’est important que les groupes vraiment appréciés continuent à être achetés, même après téléchargement. Acheter un CD, c’est soutenir l’artiste et sa carrière, pas seulement écouter sa musique.

Enfin, il ne faut pas oublier que les artistes peuvent aujourd’hui profiter d’un marché de l’événementiel (concerts, festoches) de plus en plus important !

nathan.jpgNathan Bouschet, 22 ans, est guitariste amateur au sein de Strange Brew (groupe de rock), et étudiant de l’European Communication School.

On n’a pas toutes les contraintes de labels ou de distribution à gérer encore, mais à mon sens, le téléchargement permet vraiment de prendre une réelle notoriété dans ce milieu.

Aujourd’hui, il faut que les systèmes de distribution comprennent que c’est pas aux consommateurs de s’adapter mais aux distributeurs de réguler leurs canaux. Le téléchargement, c’est la meilleure alternative au partage et le fait qu’il soit encore illégal constitue un des derniers actes réellement « rock » de notre génération, alors il faut garder tout ça.

Précariser les artistes, « mes fesses » ; si ils se démenaient pour produire quelque chose qui justifie cette appellation d’artiste, je serait prêt à les payer mais ça se fait rare. Perso, je me fais ma collection de vinyles, donc je continue à acheter des pièces d’artistes que j’admire, et j’en suis fier, mais alimenter l’esprit commercial, non merci. Vive le téléchargement, vive le rock et vive la b**** (parce qu’il faut quand même que je dise une connerie dans tout ça).