L’arrêté du 30 décembre dernier, interdisant la vente et la consommation de fleurs et feuilles brutes de CBD, a été accueilli avec stupéfaction par les vendeurs spécialisés toulousains. Certains déplorent un gros manque à gagner. D’autres craignent de voir leur commerce partir en fumée.

Florent a ouvert sa boutique de CBD il y a six mois, à mi-chemin entre les quais et le Capitole. Un projet de longue date, dans lequel il a investi près de 90 000 euros. Il avait tout prévu pour la nouvelle année… sauf un arrêté lui interdisant de commercialiser son principal produit. Depuis le 30 décembre 2021, la vente aux consommateurs de fleurs et feuilles brutes de chanvre contenant du cannabidiol (CBD) est proscrite en France. « Ça représente 60% de mon chiffre d’affaires. Si ça reste comme ça, je dépose le bilan », clame le propriétaire du Cannabillion. « J’ai un stock à écouler et on a été prévenu du jour au lendemain. Pour l’instant, je continue de vendre mes produits. »

Les produits transformés, comme les huiles, boissons ou confiseries, restent autorisés. « Et même la résine, quel paradoxe », fustige le gérant du Cannabillion. Photo © Lucas Planavergne

Le Toulousain de 38 ans voit son avenir suspendu à la décision du Conseil d’État, qui doit statuer dans les prochaines heures sur le dossier défendu par les syndicats des professionnels de la filière le 7 janvier. S’il est remonté, il garde tout de même une lueur d’espoir : « Cet arrêté s’appuie sur une classification des stupéfiants datant de 1961. Il faut plus que jamais l’actualiser ! L’Union européenne a déjà bloqué un projet de loi similaire en juillet dernier. Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne range pas le CBD dans la catégorie des psychotropes. Quand on voit que l’Allemagne va légaliser le cannabis… On va totalement à contre-courant. »

Une atteinte à la liberté d’entreprendre ?

Du côté de la boutique CWBD, située dans une petite rue calme du quartier Saint-Cyprien, la nouvelle a été accueilli avec la même stupeur. Si la loi reste telle quelle, c’est la fermeture assurée. « On a ouvert l’année dernière pour développer un business légal. On veut entreprendre librement, créer de l’emploi, contribuer à la société… Si c’est pour tomber dans l’illégalité, on gagnerait plus à vendre du shit », déplore Pierre-Loup, cogérant de 28 ans. Et son associé Tom d’ajouter : « C’est incompréhensible, car il y a une vraie demande. Avec le CBD, les gens consomment un produit bio, contrôlé et traçable. Ils prennent aussi moins de risques avec la police. Et surtout vis-à-vis des trafiquants. »

Les gérants de CWBD comptaient changer le nom de la boutique en « Holy Pote » et lancer un nouveau site web pour la nouvelle année. Le projet est en stand-by. Photo © Lucas Planavergne

Les deux jeunes hommes doutent également de la pertinence de l’arrêté, risquant selon eux de « pousser les consommateurs vers le trafic de stupéfiants » ou de rediriger vers « des produits étrangers, facilement procurables sur Internet, car la loi n’est pas la même ».

Pour d’autres commerçants de la ville, cette interdiction est synonyme de grosses pertes financières, mais pas forcément de fermeture. L’enseigne Nature CBD, qui dispose d’un local à Saint-Cyprien et un autre à Capitole, compte sur sa gamme diversifiée et une clientèle davantage tournée vers les produits thérapeutiques pour tenir le choc. « Ce sera une épreuve, mais les fleurs pour fumer et les feuilles pour l’infusion représentent moins d’un tiers de nos ventes. On s’en sortira », espère Axel, vendeur depuis un an dans les deux boutiques.

Un texte « incohérent »

Le patron de CBD Toulouse, qui a inauguré sa deuxième boutique dans la Ville rose en 2019 à deux pas de la gare Matabiau, estime quant à lui qu’il est « nécessaire de légiférer » sur cette plante en France. « Les commerces fleurissent, mais certains ne sont pas sérieux et vendent des produits bourrés d’éléments toxiques. La frontière est parfois mince entre des spécialistes et des sortes de ‘dealers légaux’ », regrette l’homme de 33 ans. Mais selon lui, le texte dans sa forme actuelle contient plusieurs zones de flou, remettant son application réelle en cause. « Il est stipulé mot pour mot que la vente est ‘interdite aux consommateurs’. C’est à se demander si en faisant signer des attestations sur l’honneur, on ne pourrait pas contourner cette loi », constate-t-il, en soulignant la phrase en question sur un imprimé de l’arrêté. « Il y a aussi les feuilles brutes qui sont interdites pour les tisanes, mais pas les feuilles transformées. Les miennes, par exemple, sont décarboxylées. »

Pour le gérant de CBD Toulouse, « un texte de loi doit être clair, et pas sujet à diverses interprétations ». Capture d’écran © Légifrance

Mike reste pourtant optimiste pour la suite. Quoi qu’il arrive, il ne compte pas abandonner son affaire si facilement : « Depuis l’ouverture, on a survécu à la montée des prix, aux perquisitions et aux mises sous scellés… En restant fidèle à la qualité de nos produits et en se renouvelant, ça le fera ! »

Mise à jour : Le Conseil d’État a annoncé suspendre temporairement l’arrêté gouvernemental interdisant la commercialisation de fleurs et feuilles de CBD le lundi 24 janvier.

Photo d’entête © Lucas Planavergne