90 nationalités se côtoient sur le territoire ariégeois. Travaillant sur la question migratoire internationale dans les milieux néoruraux, deux chercheurs en géographie y ont réalisé une enquête de terrain. Accompagnés d’une photojournaliste, ils préparent une exposition au Carla-Bayle, avec l’objectif de mettre en lumière leurs découvertes.
« L’exposition, c’est atypique pour nous », souligne William Berthomière, directeur de recherche au CNRS, qui a l’habitude d’un travail de recherche plus classique, semblable à un travail scientifique. S’ils ont fait ce choix, c’est parce qu’ils ont la volonté de déconstruire certaines idées, bien ancrées dans les esprits. Tous deux évoquent la difficulté de certains responsables locaux à avoir une lecture positive de la question migratoire. « Même l’Europe qualifie la question migratoire de fardeau », précise Christophe Imbert, professeur à l’université de Rouen-IDEES CNRS. En réalité, territoire cosmopolite, l’Ariège regorge de richesses. La diversité des savoir-faire et compétences est mise en œuvre au profit d’activités économiques de la région, et donc du développement local. Face à cette réalité, des questionnements ont émergé : comment prendre en compte toute la richesse de cette diversité, afin de participer à la vie locale ?
« Dans Les Echos, l’Ariège est évoquée comme une anti start-up nation », indique le directeur de recherche. Il décrit aussi des élus qui auto-représentent ce territoire comme celui qui « accueille les pauvres ». Après avoir étudié des données relatives au recensement, ils se sont rendu compte que le fait n’était pas avéré. Bien au contraire. D’après Christophe Imbert, les statistiques montrent que la majorité des entreprises nouvelles se montent dans les milieux ruraux. Beaucoup d’initiatives et de projets y voient le jour. C’est le cas, par exemple, dans le milieu agricole et maraîcher, où on cherche à faire autrement sur la question de la transition écologique ou encore dans les milieux artistiques – comme celui du spectacle.
Une histoire particulière
Dans la question migratoire, il y aussi la question des demandeurs d’asile. Depuis 2017, les chercheurs travaillent en lien avec le Carla-Bayle, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) de la région. Il a la particularité d’avoir été le premier sur le territoire français, et l’histoire de ce lieu leur a permis d’établir un lien entre la question de la migration et le contexte local.
Par ailleurs, dans un travail sur le lien entre les réfugié.es et la montagne, ces deux géographes explique que les espaces ariégeois entretiennent un lien commun. Ils ont tissé un lien particulier avec l’idée de refuge et d’hospitalité montagnarde. Dans la mémoire des habitants, il existe une forte affinité entre montagne et réfugiés car il est enraciné dans les histoires familiales avec les épisodes de maquis montagnard par exemple.
Privilégiant l’enquête sur le long terme, ils ont fait de nombreuses découvertes. Ils ont préféré prendre le temps de suivre certains, plutôt qu’étudier un fragment de vie qu’ils ne jugent pas représentatif de la réalité. Cela leur a aussi permis de retracer, entre autre, des parcours biographiques, et des histoires familiales.
Une diversité bien ancrée
La diversité ethnique peut s’expliquer par le dépeuplement des collines et montagnes, il y a 150 ans. Des habitats à coûts bas étaient disponibles; c’était l’endroit pour expérimenter des vies communes, des modes de vie alternatifs. Beaucoup de migrants espagnols sont venus s’installer en Ariège, territoire ayant aussi abrité les hippies des années 1970. Lieu de passage, de nombreuses nationalités s’y sont croisées et s’y croisent encore. D’ailleurs, Christophe Imbert précise avoir observé que « les 25-30 ans sont des jeunes qui ont généralement parcouru le monde et ont vécu dans des conditions extrêmes. Au bout de la route, l’Ariège intervient, dans leurs discours, comme un endroit fixe où ils croisent beaucoup de nationalité », une façon de continuer le voyage.
Cette population migratoire ne vit pas en communauté, mais elle forme un réseau. En étudiant le terrain, ces deux chercheurs ont pu observer beaucoup d’entraide, pour les moissons, des achats ou des services par exemple. Ils mobilisent des réseaux de connaissances pour parvenir à leurs fins; c’est ce qui constitue la grande force de ces institutions. Face à ce constat, de nouvelles interrogations naissent : « Les instituions locales peuvent-elles capitaliser dessus ? Ces lieux pourraient-ils être des ressources qui permettraient de rompre avec le décrochage ? L’Ariège serait-elle la capitale des savoirs ?», appuie William Berthomière.
Donner à voir, donner à comprendre
Ce projet d’exposition s’inscrit dans le programme de recherche CAMIGRI. Débuté en 2017, il prendra fin cet été. D’après l’ANR (l’Agence nationale de la recherche), ce programme « entend revisiter l’étude des campagnes françaises au prisme des migrations internationales et de la diversification croissante des formes de mobilité. » En y participant, ces deux chercheurs ont pu mettre en œuvre leur méthodologie d’enquête vouée à étudier le terrain. Ce travail marquera l’aboutissement d’une enquête de trois ans.
« La question de l’immigration internationale dans les zones néorurales est une question de recherche méconnue en France », explique William Berthomière. Travaillant aussi sur d’autres territoires tels que la Dordogne ou la Haute-Vienne, c’est une des raisons qui les a poussé à s’orienter vers cette thématique. L’étude menée s’est déroulée en plusieurs temps, des réflexions en amenant d’autres. William Berthomière raconte la première phase : interpellés par la curiosité, ils savaient qu’il se passait des choses originales en Ariège. A l’issu de ce constat est apparue la nécessité d’un travail documentaire plus approfondi. C’est ainsi qu’ils ont fait le choix de se faire accompagner par une photographe, Céline Gaille.
A travers leurs démarches, les deux chercheurs au CNRS expriment leur volonté de ne pas minorer la diversité migratoire en informant le public. Montrer pour informer, utiliser l’image pour rendre le sujet accessible à tous et lui donner un accès informel ; voilà l’objectif.
Deux grands week-ends (9-10 et 16-17 octobre) seront consacrés à l’exposition guidée et commentée, entrecoupée d’une conférence, au CADA du Carla-Bayle; le but étant de favoriser les moments d’échanges.